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et applaudir. Apulée, charmé de l’accueil qu’il recevait, resta quelques jours, puis quelques mois, et finit même par se laisser marier à la mère de son ami, une riche veuve, qui sciait éprise du jeune sage. Par malheur, la discorde se mit bientôt dans la famille ; les fils de la veuve, qui paraissaient d’abord s’être réjouis d’avoir Apulée pour beau-père, effrayés de voir l’ascendant qu’il prenait sur sa femme et craignant pour leur fortune, l’accusèrent d’avoir employé des maléfices pour se faire aimer. Il avait beau répondre que cet amour s’expliquait le plus naturellement du monde, qu’une femme qui n’était plus jeune et qui n’avait jamais été belle[1] pouvait bien s’éprendre d’un brillant jeune homme, que ses ennemis accusaient d’être trop beau garçon pour un philosophe, sans qu’on soupçonnât d’autre maléfice que sa figure et son esprit ; il n’en fut pas moins traîné devant les tribunaux. C’était une affaire grave : la loi romaine traitait sans pitié les magiciens. Heureusement les raisons que donnaient les ennemis d’Apulée pour l’accuser étaient ridicules, et il n’eut pas de peine à les réfuter. Il gagna vraisemblablement sa cause devant les juges ; mais j’imagine que le public ne dut pas être tout à fait convaincu de son innocence. Un homme qui savait tant de choses, qui disséquait des poissons, qui magnétisait les enfans, qui guérissait les femmes épileptiques, lui était suspect. Malgré le charmant discours d’Apulée, il conserva des doutes ; et qui sait ? peut-être Apulée lui-même tenait-il à les lui laisser : il ne devait pas déplaire à ce vaniteux de passer pour un homme qui a des pouvoirs secrets et qui au besoin peut faire des miracles.

La grande occupation d’Apulée pendant la seconde moitié de sa vie paraît avoir été de prononcer de beaux discours, mêlés d’éloquence et de philosophie, devant les gens lettrés de l’Afrique. Nous n’en avons conservé aucun entièrement, ce qui est dommage ; mais il nous reste un petit livre qui nous en donne une idée. C’est une sorte d’anthologie (Florida), et comme un bouquet formé des plus belles fleurs de sa rhétorique. Celui qui a composé ce recueil n’était pas un homme de goût et un esprit bien sûr ; il s’est plus d’une fois laissé prendre à de faux brillans ; il admirait plus que de raison les assonances et les antithèses ; mais il faut beaucoup lui pardonner, puisque, après tout, il nous permet de nous rendre compte de ce qu’on pourrait appeler l’enseignement d’Apulée.

Il n’avait pas véritablement des élèves, et ne faisait pas des leçons suivies et régulières. Nous dirions aujourd’hui qu’il donnait des conférences. Les conférences étaient alors fort à la mode : nous venons de voir qu’on avait, dans tout le monde romain, la

  1. Forma mediocri, setate non mediocri.