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dans la nuit, « si en un mot ils ne se conduisent pas comme l’exige la dignité des études libérales », on les embarque au plus vite pour les renvoyer chez eux.

Cette ardeur qu’on avait d’apprendre, ce prix qu’on attachait au savoir, nous en retrouvons la trace dans les inscriptions de l’Afrique comme dans les ouvrages des contemporains. Quand un père a le malheur de perdre son fils jeune, il ne manque pas de nous dire, dans son épitaphe, « qu’il était en train de faire ses classes, qu’il est mort pendant qu’il étudiait à Carthage, qu’il était déjà devenu habile à bien parler. » A Calama (Guelma), un pauvre homme raconte tristement qu’il avait deux fils, qu’il les a fait étudier, in studiisque misit, mais qu’ils sont morts jeunes l’un et l’autre, « et qu’après tant de dépenses il n’a pu jouir d’aucun d’eux. » A Mactaris, c’est le jeune homme qui prend la parole ; il nous apprend qu’il était chéri de ses maîtres, que, dès son enfance, il s’est livré avec passion à l’étude, qu’à quatorze ans il lisait les caractères sténographiques en grec (probablement ses parens le destinaient à être notarius, un métier fort important à cette époque), et il ajoute, non sans quelque suffisance, « qu’il savait bien parler, bien écrire, et bien peindre. » A propos d’autres, morts au même âge, on nous dit « qu’ils connaissaient à merveille les deux langues savantes (le latin et le grec), qu’ils excellaient à composer des dialogues, des lettres, des idylles, qu’ils improvisaient sur un sujet proposé, et que, malgré leur jeunesse, ils attiraient la foule quand ils déclamaient. »

Il est clair que Rome a dû encourager ce goût qui portait vers les études littéraires ses sujets d’Afrique. Tout ce qui les rattachait à la civilisation latine profitait à sa domination ; plus éclairés, plus lettrés, moins sauvages, ils devenaient plus soumis, ils étaient plus faciles à conduire. Tacite rapporte que son beau-père Agricola, un homme fort sensé, un très habile politique, après avoir vaincu les Bretons, acheva de dompter leur résistance en attirant dans les écoles les enfans de leurs chefs. Pour les encourager à s’instruire, il louait leur bonne volonté, il paraissait surpris de leurs progrès ; comme il savait qu’en toute chose ils étaient fort jaloux de leurs compatriotes, les Celtes du continent, il affectait de préférer « l’esprit naturel des Bretons aux talens acquis des Gaulois. » Enfin, ajoute Tacite, il fit si bien que des peuples, qui d’abord méprisaient la langue latine, se passionnèrent bientôt pour les exercices de la rhétorique. Cette tactique, qui leur était si avantageuse, les Romains ont dû l’employer partout, et partout elle a dû produire pour eux les mêmes résultats. Nous ne voyons pas pourtant qu’ils aient pris des mesures officielles, comme nous le faisons de nos jours, pour ouvrir des écoles et organiser l’enseignement