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poétiques, il se renouvelle dans l’opéra par les images sonores.

Iago, porte une vieille édition d’Othello, Iago, « un scélérat ». Tel il se définit et s’analyse lui-même dans le Credo : commentaire musical auquel concourent les mélodies, les harmonies, les rythmes et les timbres. Commentaire admirable de puissance d’abord et de fureur impie, lyriquement jeté à travers la menace des cuivres et l’éclat de rire des trilles ; plus admirable encore lorsque tout ce lyrisme tombe, lorsque l’ode cynique s’achève en cynique méditation, la colère en dégoût, et que toujours plus lentes, plus profondes et plus dédaigneuses, les quelques notes du motif principal s’égrènent et s’évanouissent dans le néant.

Hormis cette explosion, presque tout le rôle d’Iago n’est composé que d’insinuations musicales, de démarches pour ainsi dire aussitôt suspendues que hasardées, de velléités, d’essais et d’amorces. À ce point de vue, le récit du songe de Cassio me semble un chef-d’œuvre d’expression ; chef-d’œuvre par la mélodie insidieuse, par le chromatisme subtil, par l’instrumental ion atténuée, étouffée, sourdement persuasive et tout bas éloquente. Et que ces légers frôlemens que des touches aussi délicates déterminent chez Othello d’aussi effroyables transports, cela crée entre l’effet et la cause, entre l’étincelle et l’explosion, un contraste dont la musique, encore plus vivement que la tragédie, manifeste la force et la beauté. Elle est éminemment du domaine musical, l’atroce réaction (j’entends presque le mot au sens chimique) de l’âme empoisonneuse sur l’âme empoisonnée. Je me souviens que Rossi, jouant Othello, passait constamment, et d’un geste circulaire, sa main sur sa poitrine, comme pour suivre au travers de sa chair l’affreux circuit de la douleur. De même ici je sais tel motif d’orchestre qui tourne sur lui-même, et qui en tournant creuse et déchire. Puis, au moindre mot de Iago, ce sont chez Othello des sursauts, des élancemens de souffrance et de rage ; en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, c’est la voix emportée sur les sommets et replongée aux abîmes ; ce sont les cordes extrêmes frappées coup sur coup ; c’est l’âme en proie à tous les reviremens du doute, à toutes les contradictions de la folie. Et jusqu’à la fin de ce second acte, les deux forces affrontées continuent ainsi d’agir : l’une cachée sous une impassible musique, l’autre lâchée au travers d’une musique en délire ; et comme l’une a trouvé dans le récit du songe de Cassio la dernière atténuation d’elle-même, l’autre va trouver d’elle-même également l’exaltation dernière et le paroxysme, dans les pages magnifiques, poignantes, que termine l’adieu lyrique aux drapeaux. Les voilà, ces brusqueries, ces cassures du sentiment intérieur dont parle Taine, je crois, à propos des héros de Shakspeare. Voilà ce dont il parle aussi, « l’imagination effrayante, la vélocité furieuse des idées multipliées et exubérantes. » Ne nous plaignons pas que ces idées