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Le café excite doucement l’estomac, réveille son action contractile, en même temps qu’il combat la paresse intestinale, si pénible dans les pays chauds ; enfin il stimule l’action des reins et procure une légère diurèse. Grâce à son action sur le système musculaire, il permet de supporter les longues fatigues, auxquelles sont exposés les explorateurs ainsi que les hommes qui accompagnent les grandes caravanes de l’Afrique centrale. On a remarqué, dans l’armée bavaroise, depuis qu’on donne du café aux troupes, que le nombre des soldats incapables de supporter les marches pénibles a considérablement diminué ; il arrive parfois aujourd’hui qu’il n’y ait pas d’hommes à la traîne à la suite des plus longues étapes, même quand le temps est déplorable. Cette observation concorde parfaitement avec les résultats des expériences faites en France, à l’aide de la caféine, sur les troupes en marche et dont nous avons parlé plus haut.

L’abus du café est loin d’être aussi pernicieux que celui de l’opium et de l’alcool ; il n’est pourtant pas aussi complètement inoffensif que le prétendait Voltaire, qui n’en prenait du reste que de très petites tasses. Lorsqu’on le boit à jeun, comme on le fait aux colonies, et à l’état d’infusion très concentrée, il produit chez tout le monde un peu d’anxiété épigastrique analogue à colle qu’on éprouve lorsqu’on est sous le coup d’une émotion morale vive ou dans l’angoisse de l’attente. Chez les gens très impressionnables, c’est un état d’éréthisme nerveux pénible, accompagné de crampes d’estomac et d’un peu de tremblement des membres. Le pouls s’accélère et devient petit, serré, les urines sont plus claires et plus abondantes. Cette sorte d’état vaporeux s’observe surtout chez la femme.

Nombre d’expérimentateurs ont étudié sur eux-mêmes les effets de fortes doses de café. Ils ont éprouvé au summum l’anxiété dont je parlais tout à l’heure ; mais les principaux troubles qu’ils ont ressentis ont porté sur le cœur et sur le cerveau. L’un d’eux qui avait pris de 7 heures du matin à 9 heures du soir l’infusion de 250 grammes de café dans un litre d’eau bouillante, a vu son pouls monter à 108 dans la journée, à 114 le soir et se maintenir toute la nuit entre 110 et 114, avec des intermittences très marquées. Il manquait une pulsation sur quatre. L’insomnie a été complète pendant toute cette nuit ; mais le lendemain tout était rentré dans l’ordre, sauf un peu d’inappétence, de fatigue et de mal de tête. cette dose énorme, qui équivaut à seize tasses de café prises dans la journée, n’avait donc produit que des troubles passagers et en somme insignifians.

L’abus du café peut-il à la longue déterminer des désordres plus graves ? Est-ce un poison lent, comme on le disait au XVIIe siècle ?