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par son contraire, la tension normale des muscles trop longtemps subie. Cela est vrai, car il est évident qu’ici le Christ se délasse, s’étire les bras, et non qu’il fait sa prière, comme le veut le vénérable archidiacre Farrar, ne voyant pas qu’alors la pose ne pourrait se justifier. Mais pour exacte qu’elle soit dans le détail, la myologie du Christ n’en est pas moins excessive, précisément parce que trop exacte, ou du moins trop détaillée. C’est une figure d’étude, ce n’est pas une figure de tableau.

La conscience de M. Hunt ne se voit pas seulement à son tour de crayon. Elle a contrôlé le moindre accessoire. La figure du Christ dans son atelier est celle d’un homme de Bethléem, parce qu’on dit que les habitans de ce village ont gardé quelques traits de la maison de David. L’atelier est celui d’un charpentier de Nazareth. Le paysage vu par la fenêtre est pris d’après nature, du village où a vécu Jésus. Il y a dans un coin une cruche en poterie verte contenant de l’eau et des herbes aromatiques pour tenir l’eau fraîche, et cette cruche est nazaréenne : nazaréens aussi le foret, la tarière, le fil à plomb, le mandrin, l’équerre et la scie. Le paysage où il a mis sa Fuite en Égypte est une vue prise sur la route de Gaza, à trente milles de Bethléem et à dix de la frontière égyptienne. L’âne qui porte la Vierge est un beau spécimen de la fameuse race de la Mecque, qu’on suppose descendue de la monture de Mahomet. Lorsqu’il peint le Christ parmi les docteurs, ces docteurs ne sont pas des marchands de pastilles du sérail, mais des juifs de marque minutieusement choisis, et chacun représente un type déterminé de l’histoire : ici, Simeon, le fils d’Hillel, sorte d’Hercule ; Bava ben Butah, dont Hérode a fait arracher les yeux : Johanan ben Zakkai, l’auteur des paraboles ; Johathan ben Uzziel, l’auteur du Targum ; puis Zadok, le disciple de Judas le Gaulonite, portant un philactère au front ; puis Dosithai, l’antagoniste d’Hérode ; enfin le rabbin de Jamnia, tous dans des costumes originaux, de même étoile et de même couleur que ceux portés par leurs descendans du plus haut rang. Pour parvenir à une telle exactitude, on n’imagine pas tout ce que Holman Hunt eut d’obstacles à surmonter. En 1854, lorsqu’il commença cette longue carrière, les juifs refusèrent de poser pour le peintre chrétien. Les rabbins, craignant qu’on ne pût envoûter ou baptiser leur image, publièrent une excommunication contre tous ceux qui entreraient chez lui. Chassé de Jérusalem. Hunt se retira sur les bords de la Mer-Morte, où il emmena un pauvre bouc qu’il fit poser sur le rivage de sel, et là, sous le soleil ardent réfléchi par ce lac de plomb, dans une contrée livrée aux botes et aux pillards de toute espèce, tenant un fusil