Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/964

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

questions qui forment un faisceau indivisible, et qui se rattachent à l’équilibre des puissances européennes dans l’Afrique centrale et orientale. Vouloir résoudre les unes sans les autres est un non-sens. En vérité, lorsque le Times répète que l’Egypte est le chemin de l’Inde, il ne dit rien que tout le monde ne sache ; mais l’Egypte était, comme aujourd’hui, le chemin de l’Inde lorsque l’Angleterre a promis de l’évacuer. Elle ne conteste pas sa promesse, soit ! que fait-elle pour en préparer l’exécution ? Si elle ne fait pas plus aujourd’hui et demain qu’hier et qu’avant-hier, la situation sera la même dans cinquante ans, et le Times continuera à rééditer cet argument déjà bien vieux que, l’Egypte étant le chemin de l’Inde, l’Angleterre ne peut l’évacuer qu’après y avoir assuré une sécurité complète. Cela est-il sérieux ? Cela est-il sincère ? L’Egypte est parfaitement tranquille ; jamais elle ne le sera davantage ; il ne reste plus qu’à la neutraliser comme on a déjà neutralisé conditionnellement le canal de Suez. Il suffira alors de prendre quelques dispositions d’ordre intérieur pour en finir avec cette malencontreuse question que des gens habiles et intéressés entretiennent comme un foyer de discorde entre l’Angleterre et la France. Le veut-on ? Alors les questions du Niger, du Congo, du Mékong seront résolues comme par enchantement. Ne le veut-on pas ? Alors tous les arrangemens qu’on pourra faire ailleurs resteront incomplets et boiteux. La même mauvaise humeur persistera entre les deux pays, et continuera de projeter des reflets maussades sur leurs rapports. Les partisans d’une entente anglo-française durable et féconde sont plus nombreux en France qu’on ne l’imagine, et bien souvent, dans les vivacités de polémique qu’on relève à Londres comme des marques d’hostilité, il y a le dépit de sentimens méconnus et froissés. Le jour où on désirera un rapprochement véritable, il sera facile de l’obtenir ; mais qui veut la fin doit en vouloir les moyens.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.