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qu’une nuance ; pourtant elle a été sentie. Nous n’avons pas très bien compris de quoi le gouvernement anglais pouvait avoir à se plaindre, mais nous avons remarqué le désir hautement exprimé par la Reine de voir les questions qui nous divisent abordées sans aucun délai inutile. Ce sont là, si nous ne nous trompons, les propres termes du discours. Le gouvernement anglais a-t-il donné suite à ce désir ? A-t-il fait tout ce qui dépendait de lui pour éviter tout retard nouveau ? Est-il prêt, s’il y a eu du temps perdu, à le réparer ? En tout cas, nous sommes convaincu qu’il trouvera de notre côté des dispositions aussi empressées que les siennes. On vient de voir qu’il n’est pas sans inconvénient, ni peut-être sans danger, de laisser les questions s’accumuler et s’éterniser sans même essayer de les résoudre. On se trouve tout d’un coup en face d’un stock formidable, qui effraie rien que par sa masse, et qui décourage les volontés ordinaires. Alors chacun s’enferme dans ses prétentions sans même les exprimer ; on s’aigrit, on s’irrite, et on arrive insensiblement à l’état d’opinion qui vient de se manifester.

Nous souhaitons que le gouvernement britannique partage ce sentiment. Mais, puisque de part et d’autre on est en veine de franchise, il faut la pousser jusqu’au bout. De toutes les questions qui pèsent sur la politique des deux pays, il n’y en a qu’une de grave, ou qui risque de le devenir : c’est la question d’Egypte. La mauvaise humeur qui règne entre nous vient presque exclusivement de là. Tout le reste aurait été ou redeviendrait facile le jour où cette affaire serait réglée ; mais nous réglerions toutes les autres que la situation ne serait pas modifiée dans une proportion sensible, si celle d’Egypte demeurait en suspens. Les difficultés qu’on croirait avoir résolues renaîtraient presque aussitôt sous une autre forme et sur un autre point, et c’est le cas de dire qu’on n’aurait rien fait si cela restait à faire. Peut-être ne s’en rend-on pas très bien compte en Angleterre. Le Times disait l’autre jour que la question d’Egypte ne devait pas être mêlée aux autres, ni traitée avec elles. Qu’elle soit traitée séparément ou conjointement, peu importe, pourvu qu’elle soit traitée ; mais, qu’on le veuille ou non, on n’arrivera pas à l’éliminer, ni même à faire croire qu’elle n’a aucun rapport avec l’ensemble de la situation. Le Times lui-même en donnait une preuve piquante en disant que l’Angleterre n’évacuerait jamais l’Egypte si la France mettait le pied dans le Bar-el-Ghazal : il serait trop facile de renverser l’alternative, et de dire que, si on ne veut pas que nous allions dans le Bar-el-Ghazal, il faut d’abord évacuer l’Egypte. Les deux questions sont liées et ce sont les journaux anglais qui en ont précisé la corrélation. Le Bar-el-Ghazal fait partie de l’Égypte du Haut-Nil : pouvons-nous admettre que les Belges soient sur le Nil à Lado, que les Italiens y soient presque à Kassala, que les Anglais occupent les deux rives du grand fleuve dans la Basse-Egypte, et que seuls nous n’ayons pas le droit d’y accéder ? Il y a là tout un ensemble de ques-