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parole qui l’accompagne, l’affirmation qu’on met l’objet dans la main gauche, c’est aussi le regard qu’on dirige vers la main gauche et toute l’expression de la physionomie. Bien entendu, on doit garder dans l’exécution de ce tour le sentiment de la mesure, ne pas faire d’excès de zèle, ne pas forcer son expression de physionomie, ni le geste de la main, pour éviter les soupçons que pourrait éveiller une exagération de la mimique.

Il existe un autre artifice qui décuple l’effet du tour, c’est le boniment, petit discours plaisant grâce auquel on oriente l’esprit du spectateur dans le sens le plus favorable à l’illusion. Si l’artiste annonçait d’avance qu’une muscade va disparaître dans le passage entre sa main droite et sa main gauche, tous les yeux regarderaient ses mains avec une fixité parfois gênante, et peut-être quelque spectateur s’apercevrait-il de la supercherie. Pour dépister la recherche, l’artiste enveloppe le tour d’une sorte de fiction ; il annonce, par exemple, qu’il a la propriété de fondre complètement une muscade, de la faire évaporer et disparaître en la pressant dans la main droite ; chacun sait que ce n’est là qu’une imposture ; néanmoins, tel est l’ascendant de la parole humaine que l’on est presque forcé d’accorder le meilleur de son attention à l’acte que le prestidigitateur annonce ; par conséquent, on surveillera de très près la main droite, une fois que l’escamotage sera terminé, et on regardera machinalement l’opération préliminaire d’escamotage, par laquelle le prestidigitateur feindra de passer la muscade dans la main droite en la retenant secrètement dans la main gauche. Cette partie essentielle de l’opération reste dans l’ombre ; elle est perçue d’une manière semi-consciente, comme un acte banal dénué de toute importance, et l’illusion qui en résulte devient d’autant plus forte que personne ne sait le moment où elle s’est produite.

Tous ces détails nous montrent que l’illusion positive provoquée par la feinte a un caractère tout particulier ; ce n’est pas une illusion durable comme celle du bâton courbé dans l’eau ; l’apparence fausse ne dure qu’un moment très court. On ne dira pas, en présence de l’escamotage : « Je vois la boule passer d’une main à l’autre » ; on dira : « Je l’ai vue ; je suis persuadé qu’elle a passé. » Illusion de souvenir plutôt qu’illusion des sens.


III

On rencontre dans les tours de prestidigitation un second genre d’illusions, auxquelles on peut donner le nom d’illusions négatives pour les opposer aux précédentes. Ce sont les expériences d’hyp-