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avec autorité suffit pour créer l’apparence trompeuse. « Voilà un oiseau ! » lui dit-on sans autre explication, et l’hallucination se forme. Le prestidigitateur qui s’adresse à des personnes éveillées, en possession de leur bon sens, ne peut se contenter de ces grossiers moyens ; il est obligé de recourir à des moyens plus subtils pour arriver au même résultat sans que les spectateurs aient conscience de la suggestion qu’on exerce sur eux.

La condition première de toutes les opérations est la prise de l’attention. L’opérateur, avant de faire le moindre de ses tours, doit commencer par prendre, par capter les regards de tous les assistans, de manière que chaque conscience entre en relation avec la sienne. C’est ce que les hypnotiseurs appellent entrer en rapport, donnant un nom commode à un phénomène dont l’existence est certaine, mais dont la nature serait bien difficile à décrire. En tout cas, nous savons tous, plus ou moins, retenir et exciter l’attention d’une personne ; nous connaissons d’instinct, sans les avoir appris, les petits moyens qu’on emploie, l’interjection, l’élévation de la voix, la main posée sur l’épaule, le geste décisif, le temps placé avant le mot important ; nous savons aussi que le premier facteur est la personnalité des individus, que certains n’arrivent jamais à se faire écouter, tandis que d’autres dégagent sans faire aucun effort une influence puissante et peuvent tout dire avec autorité, même : « Je ne sais pas ! » ou : « Je vous demande pardon ! » Le prestidigitateur, qui sans doute n’a jamais réfléchi à ces actions intimes, connaît le moyen de les exercer et de s’emparer de tous les regards, qu’il concentre sur sa personne, sur ses yeux, sur ses mains, sur l’endroit qu’il choisit au gré de ses convenances.

Robert Houdin donne à ce propos une indication curieuse dont la justesse sera reconnue par tous ceux qui ont l’habitude de parler en public et d’entrer en communication avec la foule. Robert Houdin dit que la première, la plus importante qualité du prestidigitateur, est d’avoir « un bon œil ». Certaines personnes, ajoute-t-il, ont le regard vague, timide, incertain ; si on cause avec elles, en les regardant franchement, en pleine figure, elles se sentent embarrassées et détournent la tête, comme si elles redoutaient toute intimité des regards avec une autre personne. Cette timidité des yeux peut se communiquer par contagion ; elle embarrasse la conversation et empêche l’orateur d’exercer une action sur son public. « Il faut que le prestidigitateur, dit Robert Houdin, ait un regard franc et vif qui se fixe hardiment sur les yeux des spectateurs, de manière à ce que le public rive son regard sur le sien, et qu’il naisse entre eux un sentiment de