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d’une minorité contre les élus de la nation. C’est là que Dornès tomba mortellement frappé et que Bixio eut la poitrine traversée par une balle.

Dans ce rôle actif, les représentais n’avaient plus besoin d’une garde immobilisée au siège de leurs délibérations. Ils demandaient surtout des officiers d’ordonnance, des jeunes gens résolus à les accompagner au feu. Un certain nombre de mes camarades remplirent cet office avec un grand courage. Debray, calme et intrépide, se multiplia dans les postes périlleux ; Dansin accompagna Boulay de la Meurthe à l’attaque du Panthéon, y fut légèrement blessé d’une balle au pied, et reçut la croix pour sa belle conduite.

Une fois l’École normale installée à l’Assemblée, j’étais naturellement retourné à l’État-Major, où m’appelait le devoir. Clément Thomas, notre nouveau général, m’avait pris en affection depuis le jour où l’on avait tiré sur nous un coup de pistolet pendant que nous traversions le pont de la Concorde pour nous rendre à la Chambre. Il ne me ménagea pas, et je lui en sus gré. Après m’avoir lui-même conduit au feu, pour s’assurer que je n’y ferais pas trop mauvaise figure, il me détacha auprès du général de Bréa, auquel le gouvernement confiait une mission périlleuse. Il s’agissait d’enlever les barricades derrière lesquelles se retranchaient les insurgés au sud de Paris, le long des boulevards extérieurs, de la barrière Saint-Jacques à la barrière d’Italie. On voulait les débusquer en même temps au sud et au nord, pour concentrer ensuite toutes les forces de l’attaque sur le faubourg Saint-Antoine, leur dernière forteresse. Pendant qu’un corps de troupes manœuvrait au nord, le général de Bréa opérait au midi.

Mon nouveau général appartenait au cadre de réserve et traversait Paris un peu par hasard. Le gouvernement, qui manquait d’hommes, l’avait saisi au passage pour lui confier de nouveau un commandement actif. Dans sa tenue, dans ses allures, dans ses gestes, dans sa manière de parler vive et colorée, jusque dans ses cheveux, qu’il portait flottans sur les épaules, on reconnaissait le Méridional. Il était né, en effet, à Menton, où sa maison conserve encore une inscription commémorative. A côté du soldat, il y avait en lui du poète et de l’acteur.

Disposant d’un bataillon de garde nationale, d’une batterie d’artillerie, et d’un peloton de cuirassiers, il marchait devant lui avec une confiance absolue dans le succès. Il était convaincu qu’il ne serait même pas nécessaire de tirer un coup de fusil, que sa seule présence, sa seule éloquence, amèneraient les insurgés à mettre bas les armes. Il parlait bien, avec une pantomime un peu