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force d’improvisation, à l’espèce de génie personnel qui assure la supériorité du professeur homme. Du reste aucun esprit de rivalité malveillante n’existe jusqu’ici entre les professeurs des deux sexes, ce qui s’explique d’un mot : la voie n’est pas encombrée ; le chiffre total ci-dessus l’atteste. Bon nombre de professeurs de collège sont obligés d’ajouter à leur besogne, écrasante déjà, le soin des cours préparatoires, et la foule des aspirantes aux hautes études augmente toujours.

Cet assaut passionné donné à l’arbre de science pénètre d’humiliation les Françaises quand il leur arrive d’en être témoins. Combien d’entre nous sauraient ce qu’il faut pour se présenter au collège ? Tout au plus nous rattrapons-nous sur l’histoire : les Américaines, et aussi beaucoup d’Américains, m’ont paru la connaître fort mal, pour peu qu’on sorte de l’histoire de leur pays et de l’histoire d’Angleterre, qui s’y rattache directement. Que notre amour-propre cependant se rassure : je suis disposée à croire que la conscience même du peu que nous savons est à sa manière une espèce de supériorité. Un professeur distingué, causant avec moi de ces questions, me l’a fait entendre : « Oui, l’éducation de nos femmes embrasse beaucoup plus de matières que la vôtre, elle n’en embrasse que trop ; c’est une grande esquisse sans ombres ni détails. Elles sont certes plus fortes en mathématiques, là-dessus il n’y a pas de discussion, et elles apprennent les langues mortes ; mais je doute que dans la majorité des cas elles en tirent grand profit, sauf pour réussir aux examens. Ici nous devons nous mettre, hélas ! à la portée d’une certaine médiocrité sûre d’elle-même qui croit qu’il n’y a rien au-delà de ce qu’elle peut comprendre. Une Américaine sans prétentions arrogantes est la première d’entre les femmes, mais il faut aujourd’hui les passer au crible pour en trouver qui ne prétendent pas à tout. »

Il est très rare, je le reconnais, qu’un Américain s’exprime aussi franchement sur le compte de ses savantes compatriotes. Tout au plus quelques-uns diront-ils, en parlant de cette rage de culture : « C’est un moment de transition parfois défavorable à la vie de famille ; mais qui sait si, après les tâtonnemens inévitables, nous n’en profiterons pas ? Qui sait s’il ne sortira pas de là une femme plus parfaite que celle du passé ?

On ne devine jamais au juste ce qui se cache derrière le demi-sourire humoristique d’un Américain ; ces mots que j’ai aussi retenus semblaient impliquer cependant un regret et une menace :

— Tout marche très vite pour les femmes. Il y a quinze ans,