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la musique sacrée ; mais que ce ne soit pas au préjudice, moins encore à l’exclusion de la forme palestinienne ; car celle-ci, pour être autrement religieuse, ne l’est pas moins profondément.

En deux mots, et par ses deux caractères essentiels et constans, la musique palestinienne peut se définir une polyphonie de voix. Toujours écrite à plusieurs parties, elle n’est jamais accompagnée par aucun instrument. De sa double nature, nous voudrions essayer de déduire les diverses qualités qui lui sont propres.

Parce qu’elle est exclusivement vocale, la musique de Palestrina d’abord est plus qu’une musique religieuse : c’est une musique d’église. Elle est la seule avec le plain-chant bien entendu) qui se subordonne entièrement au culte, qui respecte scrupuleusement le texte, qui n’altère pas ou pour ainsi dire pas la durée des cérémonies. La musique moderne a désappris cette déférence et cette soumission. Ouvrez la messe en de Beethoven elle-même ; vous y trouverez mainte licence, ne fût-ce que : O miserere nobis, au lieu du simple : Miserere nobis. On y rencontre encore d’autres irrégularités que l’addition de cet ô surnuméraire. Tandis qu’à l’intonation du célébrant : Gloria in excelsis Deo, le chœur devrait immédiatement répondre : Et in terra pax hominibus bonæ voluntatis ! c’est l’orchestre qui répond par une attaque de quatre mesures ; les voix alors, au lieu de continuer, reprennent les mots : Gloria in excelsis ! et les répètent trente-quatre mesures durant[1]. Toute messe, tout Stabat, tout Requiem moderne, et nous ne parlons que des plus classiques, des plus beaux, fourmillent ainsi d’irrégularités canoniques. Les préludes et les épilogues (symphoniques, les soli d’instrumens, les Tuba mirum à quatre orchestres de cuivres les allongent et les grossissent démesurément. L’art, un art il est vrai souvent sublime, n’existe plus alors que par lui-même et pour lui-même ; il absorbe l’idée religieuse au lieu de s’absorber en elle. Tout autre est l’art de Palestrina ; c’est par les cérémonies et pour elles qu’il existe. La musique s’efface ici devant la pensée, devant le texte surtout, sans lequel elle n’ose jamais se faire entendre. Elle est vraiment la servante du Seigneur ; en elle rien ne s’accomplit que selon la divine parole.

Liturgique par l’exacte adaptation aux offices, la musique palestinienne l’est encore par le peu d’apparat ou d’appareil qu’elle comporte. Quelques voix lui suffisent, et quelques voix cachées. Elle n’attire l’attention et ne trouble la piété par aucun spectacle matériel. Elle n’interpose entre l’autel et la nef ni un groupe

  1. Voir à ce sujet : Besprechitngen und Kritiken. Kirchlich und weltlich. Eine Polemik und Replik, par M. Paul Krutschek ; Haberl-Iahrbuch 1894.