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palestinienne. On peut du moins l’inférer de la préface de ses messes, où il écrivait : « Parmi les chants sacrés que l’on a coutume de chanter aujourd’hui dans les divins mystères, il y en a plusieurs, composés avec de rares artifices, lesquels par leur suavité procurent aux auditeurs un merveilleux plaisir. Toutefois quelques-uns désirent avec raison que les paroles destinées à exciter la piété envers Dieu s’entendent et se comprennent plus clairement. Mais au contraire, employées comme elles le sont d’une certaine manière, il semble qu’elles ne soient pas ornées par le chant, mais presque opprimées et couvertes par les roulades. C’est pourquoi, mû parle jugement de ces personnes, je me suis efforcé d’orner ces prières et louanges de Dieu avec un chant qui n’empêche pas les auditeurs de comprendre les paroles, mais qui pourtant ne soit pas tout à fait dénué d’art et ne manque pas de procurer du plaisir à l’oreille[1]. »

Tel était Animuccia. Il fut un maître, et tenu en grand honneur, tant que Palestrina, dit encore le biographe, « ne le chassa pas du nid. »

La vie de Palestrina, depuis sa rentrée à Saint-Pierre et sa nomination à l’Oratoire jusqu’à sa mort, n’offre rien de particulier. Pendant vingt-trois ans elle s’écoula tout unie, dans le travail et la piété, à l’ombre de l’immense basilique. De temps en temps un grand seigneur mélomane, un cardinal Hippolyte d’Esté, un prince Giacomo Buoncompagni, un cardinal Aldobrandini, lui confiait la direction de sa musique privée. Il les remerciait en leur dédiant ses chefs-d’œuvre. Les papes se succédaient, tous admirant et protégeant le grand artiste. Ce fut pour lui de belles années, années de génie et années de gloire. En 1575, un jubilé solennel était octroyé à la chrétienté et célébré par le pape Grégoire XIII. On peut lire dans les chroniques du temps le récit de l’arrivée à Rome, en pèlerinage, des habitans de Palestrina. Au nombre de plus de quinze cents, ils descendirent de la montagne. Une grande croix noire venait d’abord, accompagnée respectueusement par cinquante couples de petits enfans, vêtus comme des anges, a guisa d’angeli, tenant à la main des branches d’olivier. Suivaient des confréries, qui portaient d’énormes crucifix voilés de noir et de blanc ; des moines, des prêtres en surplis, des chanoines en camail de fourrure, et enfin des femmes, non senza bell’ ordine e con gran modestia. Trois chœurs de musiciens chantaient tout en marchant, et la musique qu’ils chantaient était de Palestrina[2]. En ce pieux appareil le cortège traversa

  1. Vie de saint Philippe de Néri ; ibid.
  2. Voir : Narrationi delle opere piu memorabili fatte in Roma l’anno del Giubileo 1575, composte dal M. R. P. F. Angelo Pientini, Viterbo, 1577, lib. I, p. 92 : delle compagnie di Palestrina ; cité par Baini, t. II, p. 20 et 21.