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claires, non seulement rompre avec ses alliés, mais mettre leur bonne foi en doute et les croire capables d’infidélité et de trahison. » L’impératrice ayant certainement eu les mêmes sentimens à l’égard de son alliée, l’Angleterre, et ne pouvant pas davantage vouloir, sans provocation, déroger aux engagemens pris envers le roi de Prusse par le traité d’Aix-la-Chapelle, devait avoir des motifs décisifs et péremptoires pour dénoncer des projets formés par ces deux cours « au préjudice de la religion et au désavantage de l’Autriche et de la France. » On la priait donc instamment d’en faire part avec une entière confiance. Mais en attendant, puisqu’il y avait dans ces intentions suspectes un danger pour tout le monde, ne pouvait-on, dès à présent, s’entendre pour le prévenir ? Ne pouvait-on pas, par une convention préliminaire et provisoire, déclarer que l’agresseur, quel qu’il fût, qui porterait atteinte aux conditions de la paix existante, rencontrerait l’Autriche et la France unies pour lui résister ? Elles pourraient se proposer d’exiger de tous les combattans une suspension d’armes immédiate et d’intervenir, si besoin était, en offrant des termes d’accommodement raisonnable. À cette convention qui ne menacerait personne, pourraient être ensuite associées par un traité subséquent les puissances neutres alliées des deux cours, et c’est alors qu’il serait utile de débattre, à tête reposée et avec réflexion, les stipulations d’un intérêt plus général, comme l’échange proposé entre les possessions italiennes de l’infant et un équivalent dans les Pays-Bas. L’occupation provisoire de quelques places de Flandre pourrait également être concertée, comme un moyen peut-être nécessaire pour faire respecter la volonté commune des deux puissances. Ces arrangemens, était-il dit en conclusion, seraient un premier « pas qui amènerait infailliblement une alliance solide et peut-être éternelle » et donnerait le temps aux deux cours d’en établir les fondemens sans précipitation et sans danger[1].

Bernis, en faisant ces communications à Stahremberg, s’aperçut aisément de l’expression de dépit et de désappointement qui se peignait sur son visage. Il s’y attendait sans doute et n’avait pas lieu d’en être surpris. Répondre en effet à un plan de campagne dont le but évident était de saisir le roi de Prusse à la gorge pour lui faire restituer tout ce qu’il avait pris, par l’offre de garantir un statu quo dont les conquêtes prussiennes faisaient partie, c’était un procédé étrange qui, si on le prenait en mauvaise part, aurait pu être regardé comme une raillerie d’un goût douteux.

  1. Réponse que l’abbé de Bernis m’a remise de la part du roi très chrétien aux propositions que j’ai faites de la part de S. M. l’Impératrice, 9 septembre 1755. — Stahremberg à Marie-Thérèse, 9 septembre 1755.