Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/747

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aucun agent politique, et que, dans ses entretiens avec Mme de Pompadour, il l’avait trouvée curieuse de tout savoir, et l’avait encouragée lui-même à se mêler de tout. Elle pourrait bien être offensée de n’avoir pas été la première à connaître ce que tôt ou tard elle devait apprendre. Entre la favorite et l’agent secret le choix parut difficile à faire à distance ; on prit le parti de laisser la décision à Stahremberg lui-même. Une lettre lui fut remise pour la marquise, conçue dans des termes assez vagues et dont il dut rester maître de faire à la dernière heure l’usage qu’il jugerait convenable.

« Madame, écrivait le chancelier, j’ai désiré souvent me rappeler à votre souvenir : il s’en présente une occasion qui, par les sentimens que je vous connais, ne saurait vous être désagréable… M. le comte de Stahremberg a des choses de la dernière importance à proposer au roi, et elles sont d’espèce à ne pouvoir être traitées que par le canal de quelqu’un que Sa Majesté Très-Chrétienne honore de son entière confiance et qu’elle assignerait au comte de Stahremberg. Nos propositions, je pense, ne vous donneront pas lieu de regretter la peine que vous aurez prise à demander au roi quelqu’un pour traiter avec nous, et je me flatterai, au contraire, que vous pourrez me savoir quelque gré de vous avoir donné par là une nouvelle marque de l’attachement et du respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc. »

Rien, dans ces paroles assez froides, qui rappelle un engagement antérieur ; rien qui rattache cette épître à la suite d’une correspondance régulière qui aurait été entretenue entre le chancelier et la marquise. Toutes les versions accréditées à ce sujet tombent devant l’évidence. Un détail assez singulier achève d’en montrer l’inexactitude. La suscription de la lettre dut être laissée en blanc, parce que Kaunitz ne savait pas bien quelle adresse il devait y mettre. On voit que, si Marie-Thérèse eût écrit la fameuse lettre qui n’a jamais existé que dans l’imagination de Frédéric (fidèlement suivie par les plus grands historiens français), elle aurait été embarrassée de savoir comment l’adresser à « sa chère amie et cousine[1]. »

  1. Duclos, écrivant de mémoire, d’après la conversation de Bernis, dit bien qu’il y eut un billet flatteur de Marie-Thérèse pour la favorite. Mais Bernis lui-même n’en dit pas un mot. Du reste, voici la reproduction de la partie de l’instruction de Stahremberg relative au choix qui lui était laissé pour entrer en relation avec le roi, entre le prince de Conti et Mme de Pompadour : il en ressort évidemment que, dans la pensée de Marie-Thérèse, la préférence devait être donnée au prince de Conti, et que dès lors il n’y avait pas lieu, pour elle, de s’adresser directement à Mme de Pompadour.
    « Quant à la manière de présenter l’affaire à la cour de la façon la plus utile et la plus secrète, nous sommes d’avis que tu auras à te procurer sans retard, au moyen d’un billet ou autrement, un entretien secret avec le prince de Conti, et à lui faire savoir seulement à cette première occasion que tu as des communications très importantes à communiquer au roi en notre nom, informations qui exigent un secret absolu et ne peuvent être que très agréables au prince. Tu ajouteras que nous t’avons également muni d’une promesse de secret autographe, jointe à la présente, et que si le roi fait une promesse pareille avec désignation d’une personne de confiance à laquelle la suite des communications pourra être faite, tu n’hésiteras pas à te déclarer plus ouvertement. Ce qui nous fait juger utile de confier la première démarche au prince de Conti, c’est qu’il est le plus intéressé à l’issue heureuse de l’affaire et que par son crédit et par ses amis il peut, non seulement lui donner une bonne tournure, mais encore contribuer beaucoup à empêcher les dispositions changeantes de la cour, et à tout préparer dans le sens de ses désirs concordant avec les nôtres. Il ne serait pas impossible cependant que nos suppositions très vraisemblables ne fussent erronées et que le prince fût absent ou qu’il y eût d’autres circonstances d’après lesquelles tune jugerais pas prudent de recourir audit intermédiaire. Une lettre de M. le chancelier à Mme de Pompadour, ainsi qu’une copie sera jointe à la présente, afin que tu puisses, au besoin, te servir de cette voie pour faire parvenir au roi les communications nécessaires. »