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sérieuse importance : Ostende et Niewport ; et l’occupation pourrait durer pendant tout le temps de la guerre, la restitution ne devant avoir lieu qu’à la conclusion de la paix. On ne pouvait offrir plus loyalement la garantie des engagemens pris et le gage anticipé des cessions promises. La prise de deux places maritimes serait de plus particulièrement sensible à l’Angleterre, et satisferait ainsi l’impatience de ceux qui, autour du roi, désiraient qu’on répondît par quelque mesure énergique aux insultes auxquelles la marine et le commerce français ne cessaient d’être en butte dans les parages fréquentés par les escadres britanniques. Une protestation apparente, faite par l’Autriche pour la forme et laissée sans suite, enlèverait à l’opération le caractère trop évident d’une connivence entre le détenteur provisoire et le propriétaire momentanément dépossédé.

En échange de tels avantages, dont l’étendue passait réellement toute créance, que demandait-on à la France ? Pour l’heure présente aucun concours armé, seulement l’adhésion donnée à un vaste plan de coalition formée contre la Prusse, dans laquelle chacun amènerait ses alliés, l’Autriche, la Bavière, la Saxe et la Russie ; la France ses cliens habituels, la Suède, le Danemark et l’électeur Palatin. On chercherait et on avait l’espoir de réussir à entraîner l’Espagne qui, en ce moment, hésitait encore à se déclarer, mais qui ne résisterait pas à l’appât de la part qu’on pourrait lui promettre dans les résultats certains de la victoire : car, l’Autriche se contentant de rentrer dans son patrimoine héréditaire de Silésie, une fois la Prusse vaincue, il y aurait dans ses dépouilles de quoi indemniser tout le monde. La Poméranie irait naturellement à la Suède, le duché de Clèves au Palatinat. La Saxe trouverait facilement à sa porte et dans son voisinage l’annexion de provinces enlevées au duché de Brandebourg et qui consoleraient Auguste de la perte de sa royauté polonaise plus nominale que réelle. Enfin qui sait si, le Hanovre se trouvant placé de manière à s’agrandir sans peine, son électeur, oubliant sa qualité royale, ne céderait pas lui-même à la tentation ? Ce serait d’ailleurs à l’Autriche et à la Russie, chacune à la tête de cent mille hommes, à ouvrir la campagne à laquelle les autres ne viendraient se joindre que quand les premiers coups auraient été portés. Si de grands frais étaient nécessaires pour mener à fin l’opération, on demanderait à la France d’en prendre sa part. C’était le seul engagement qu’on réclamait d’elle[1].

Tel était le projet grandiose, embrassant un si vaste ensemble

  1. D’Arneth et Beer, loc. cit. Marie-Thérèse à Stahremberg, 21 août 1755 (Archives de Vienne).