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Tout peut encore être sauvé. Qu’il s’arrache seulement aux suggestions de son entourage, qu’il revienne à ses tendances naturelles, qu’il rompe avec le parti qui l’a porté au pouvoir, et les radicaux, ou du moins quelques-uns d’entre eux, le recevront comme l’enfant prodigue. Il est probable que les caresses des uns ne feront pas sur M. le Président de la République plus d’impression que les violences des autres : il sait à quoi s’en tenir sur les dispositions véritables des radicaux envers lui. Si ceux-ci avaient attendu un acte de sa part, une intention manifestée, une velléité devenue apparente, on aurait pu s’y tromper et croire qu’ils attaquaient une politique. C’est à l’homme même qu’ils en veulent. Quoi qu’il dise ou qu’il fasse, et quand même il ne dirait et ne ferait rien, ils le traiteront en ennemi. N’ont-ils pas déclaré dans leurs journaux qu’à la suite des grandes manœuvres qui l’ont mis en contact d’abord avec l’armée et ensuite avec la population de Châteaudun, M. Casimir-Perier avait rencontré partout un accueil glacial ? Il faudrait que l’armée eût perdu le sentiment de sa noble mission si elle n’avait pas été sensible au mâle et patriotique langage que M. Casimir-Perier lui a tenu : elle l’a écouté en silence parce que tel était son devoir. Quant à la ville de Châteaudun, elle a reçu M. le Président de la République comme un hôte illustre et respecté. On n’était pas là dans le Midi ; il ne fallait pas s’attendre aux démonstrations bruyantes qu’ont provoquées nos ministres lorsqu’ils sont allés à Orange ; chaque région de la France a son humeur et son caractère particuliers. Ceux qui ont suivi M. le Président de la République dans son voyage à Châteaudun sont revenus très satisfaits de la réception qui lui a été faite ; mais les radicaux ont affecté de dire qu’elle avait été des plus froides, et ils en ont tiré une confirmation nouvelle des sentimens qu’ils attribuent au pays.

Peut-être avaient-ils besoin de faire sonner très haut ces succès plus ou moins factices, pour faire oublier certains désagrémens qu’ils viennent encore d’éprouver. Ils n’ont pas mené beaucoup de bruit, et pour cause, autour de la dissolution du conseil municipal de Toulouse et du déplacement de M. le préfet de la Haute-Garonne. Les faits qui ont motivé ces mesures sont tellement scandaleux qu’il est difficile d’y trouver des circonstances atténuantes. Il existe depuis quelques années, à Toulouse, une bande de faussaires politiques, qui, après s’être emparés de la mairie, ont réussi à s’y maintenir jusqu’à ce jour par la corruption et par la fraude. Le procédé qu’ils ont employé est des plus simples ; un enfant pourrait l’appliquer : il consiste à falsifier les listes électorales, soit par des retranchemens, soit par des surcharges. On biffe un nom, celui d’un adversaire, on en met un autre, celui d’un ami. Peu importe que l’ami soit absent au moment du scrutin, ou qu’il soit failli, ou même qu’il soit mort : les listes électorales, dans la colonne des émargemens, n’en portent pas moins la trace de son