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principale du chemin de fer de Lyon. C’est là que mûrissent, sur la partie de la montagne exposée à l’est et au sud, les trois montrachet : le « vrai » au milieu ; le « chevalier » au sommet ; le « bâtard » à la base. Quoique si voisins les uns des autres, les produits des vignes qui forment ensemble ce cru, le plus grand vin blanc de la Bourgogne… et du monde, disent les Bourguignons, se vendent à des prix qui varient du simple au double, entre le « chevalier » et le « bâtard », du simple au triple entre ce dernier et le « vrai montrachet ». Il n’est plus question ici du travail de l’homme, et la nature seule crée ces diversités.

De ces puissantes boissons bourguignonnes, à la saveur délicate, à l’enivrant arôme, elle se montre particulièrement avare. Le chambertin, vin de prédilection de Napoléon Ier, dont les descendans du mathématicien Monge sont actuellement propriétaires, fournit seulement 150 pièces, bien qu’il s’en vende chaque année, de par le monde, des milliers sous ce nom. Le musigny, qui appartient à un membre de la famille de Vogué, le clos-vougeot ou le richebourg, ne sont pas plus abondons. Il est donc malaisé de s’en procurer d’authentiques. Le nombre est moindre encore des mortels favorisés qui boivent du véritable romanée-conti. Les deux hectares de la petite commune de Vosne qui le produisent, précieux ceps dont le renom est déjà ancien puisqu’ils furent vendus 97 000 livres à la fin du règne de Louis XV, ne donnent pas plus de 4 000 bouteilles par an.


VII

Le Champagne au contraire est, de tous les vins de luxe, le plus important par le chiffre de la vente, et son succès, tout moderne, est dû pour une grosse part à l’ingéniosité de ses fabricans. Une surface de 14 000 hectares, valant 124 millions de francs environ, est livrée à la culture intensive de vignes, dont la dépense annuelle s’élève à 1 500, 2 000 et jusqu’à 2 500 francs par hectare, suivant les crus.

On se fait généralement dans le public une fausse idée de la préparation de ces vins. Bien des légendes erronées ont cours à ce sujet : la variété des boissons vendues sur le globe sous le nom de « vin de Champagne » leur a donné créance. Il n’est guère de marchandise qui ait été plus contrefaite. C’est à qui, parmi les nations civilisées, fabriquera le Champagne le plus économique, pour son usage d’abord, ensuite pour servir d’aliment à son commerce. Les Hollandais vendent, dans les bazars de Java, du « Champagne » à 1 fr. 50 la bouteille ; les Américains ont, à