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certaines autres où l’on en fait encore, bien qu’il n’y soit pas exquis, cette incapacité n’aurait pas dû s’appliquer aux régions du Midi ayant pour elles le soleil. Mais il ne suffit pas du climat pour obtenir des jus de qualité supérieure ; il faut aussi une sorte d’éducation des cépages et plus encore une éducation du fabricant. Le choix du terrain vraiment propice exige de longues recherches, et c’est au hasard souvent que l’on doit de l’avoir découvert. Ainsi tous les grands crus d’aujourd’hui sont modernes, et tous les grands crus d’autrefois sont tombés dans le néant. Ceci a tué cela… Lorsque le vin de Rebrechier, près Orléans, faisait au XIe siècle les délices du roi Henri Ier, le « Clos Vougeot » futur n’était encore qu’une terre labourable, dont deux hectares furent en 1116 affermés 20 francs de notre monnaie, « à la charge d’y planter des vignes. » Le cru auvergnat de Saint-Pourçain fut l’un des plus en vogue au XIVe siècle. Il passait souvent avant le vin de Bourgogne. Combien de gens, même en Auvergne ou en Bourbonnais, connaissent aujourd’hui son nom ? On en peut dire autant du vin de Château-Chalon en Franche-Comté, d’un vin de Plaisance, que jadis nous importions à grands frais d’Italie et dont il n’est demeuré aucune trace. Et que de changemens même depuis deux cents ans ! Sous Henri IV, les vins du Laonnais se vendaient plus cher que les vins de Reims. Du vin de Canteperdrix, dont parle avec admiration Martin Lister, lors de son voyage à Paris sous Louis XIV, c’est à peine si dans son pays d’origine, le Tarn-et-Garonne, on a conservé mémoire. L’on sait enfin combien est récent le succès des vins de Bordeaux. Le marché du pourvoyeur de la duchesse de Bourgogne, en 1697, porte que celui-ci ne devra fournir, « pour la personne de ladite dame, d’autre vin que du français, — c’est-à-dire de l’Île-de-France, — sans même qu’il en puisse donner d’Orléans, ni de Gascogne, en quelques lieux que ladite dame puisse aller. » Même défense de fournir des produits du Bordelais sur la table de la reine, dans les marchés passés en 1747, en 1763.

Je suis toutefois porté à croire que les variations du goût sont plus apparentes que réelles. Si les gens du Nord se sont longtemps contentés de leur vin, ç’a été faute de mieux. Parlant de vignes sises sur l’emplacement actuel des jardins du Luxembourg, on dit en 1425 qu’elles rendent peu, et que le peu qu’elles donnent n’est pas bon ; « mais est très petit (très faible) et a un moult étrange goût ; les buveurs à qui on le faisait priser disant que si on le gardait guères il deviendrait puant, qu’il le fallait boire de suite. » Beaucoup de vignobles dans la région ne valaient pas mieux. Nos pères ne se faisaient pas d’illusions sur leur