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travail dont il est l’objet. Résultat de la civilisation, il a prospéré avec elle et par elle.


I

Cette expression de « travail des vins », que l’on entend d’ordinaire en mauvaise part lorsqu’elle suppose une falsification nuisible, doit être prise ici dans son acception la plus vaste, comme synonyme du rôle de l’industrie moderne dans l’accroissement, dans l’amélioration du jus de la vigne. Il n’est certes pas possible de créer, sur n’importe quel point du globe, une manufacture de vins comme on y pourrait établir une manufacture de tissus. Mais, en comparant le nombre énorme de territoires dont le climat conviendrait à la vigne, au nombre très restreint des pays où se récolte le bon vin, — comme en examinant d’autre part les révolutions dont les siècles antérieurs nous offrent le spectacle dans la renommée des différens crus, — il est aisé de se convaincre que la vogue des vignobles privilégiés tient pour beaucoup au talent de leurs propriétaires, ou des marchands par l’entremise desquels les récoltes sont livrées au public. La science vinicole dont je m’occupe a largement profité des découvertes récentes, depuis les premières années de ce siècle où Chaptal publiait son Art de faire le vin : à plus forte raison a-t-elle progressé depuis l’antiquité ou le moyen âge.

S’il y a des milliers d’années que l’on travaille les vins, il n’y a pas très longtemps que l’on sait exécuter ce travail avec méthode et intelligence. À ces époques candides où la chimie n’existait pas, et où l’on se figure les vins ingénument livrés à la consommation dans un état idéal de pureté, les vendeurs mélangeaient au jus du raisin une foule d’ingrédiens plus ou moins bizarres : les vins grecs étaient additionnés de chaux, de gypse, de poix, de miel, d’aromates et… d’eau de mer. Le prétexte en était, bien-entendu, de les conserver ou de les rendre meilleurs. Pendant des siècles, en effet, les vins ont été mauvais, et il s’en est perdu des quantités prodigieuses. Ajoutons que, pour trouver ces pratiques de vinification qui nous semblent aujourd’hui les plus vulgaires du monde, il a fallu bien des tâtonnemens et des efforts. Pas plus pour le vin que pour l’homme, l’état primitif n’a été celui de toutes les vertus. Ce liquide avait au contraire nombre de mauvais instincts ou de défaillances, que l’éducation a dû combattre et corriger. Dans la Rome impériale on plâtrait, on soufrait les vins ; on y mélangeait de la poussière de marbre. Caton recommande d’y introduire en certains cas du sel, de la