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de don Alphonse ; que le conflit, en dernière analyse, se réduisait à une querelle de succession ; que le programme du carlisme n’était ce qu’il était que parce que le programme de l’alphonsisme était le contraire ; et que, tout considéré, le programme n’était guère qu’un accessoire. Ce n’était donc pas une vaine illusion que de se flatter d’entamer et, dans quelque mesure, de désagréger le carlisme : le calcul qu’on faisait était juste, ou bien il l’eût été, si, par disposition naturelle, les hommes n’avaient coutume de montrer plus de fidélité pour les personnes qu’ils n’en montrent pour les principes. — Quant aux républicains, n’achevaient-ils pas de se suicider ? A supposer qu’ils en dussent revenir, on avait le temps de compter avec eux.

On eut le temps de faire poser les armes au carlisme. Dès que se rouvrit le palais des Cortès, des républicains y parurent. Ils y parurent impénitens, hautains, dans l’attitude dédaigneuse de gens qui souffrent une violence, mais ne s’y résignent pas, opposant histoire à histoire et au droit divin le droit populaire, demandant à la Restauration ses titres, comme un garde civil demanderait ses papiers à un vagabond, l’accusant d’être issue d’un crime militaire et se réclamant eux-mêmes des Cortès constituantes, et, par les bouches les plus éloquentes de l’Espagne, soufflant des appels de bataille. Ce fut, alors, un de ces duels au couteau, tels qu’on ne les voit que là-bas, qui finissent par la mort, et où le vainqueur s’acharne parfois sur le cadavre du vaincu, mais qui néanmoins se poursuivent sans injures, avec les formes courtoises et cérémonieuses qui conviennent aux choses graves. Mais ici le tragique est dans la première passe, et vers la fin on s’humanise.

Pour commencer, on refuse le serment que la Constitution exige des députés ; puis on le prête du bout des lèvres, et immédiatement après l’avoir prêté, on jure qu’on ne le prête point ; et puis on le prête, du bout des lèvres encore, avec des restrictions mentales ; et puis on le prête tout bonnement, machinalement, par habitude. Pour commencer, on recourt à la fameuse tactique des partis espagnols, qui parait bien avoir été celle des démocraties latines, depuis que le peuple de Rome était allé camper sur l’Aventin, à l’abstention systématique, au retraimiento. On ne siège pas, on ne vote pas, on se met à l’écart, on s’exile à l’intérieur, on fait le vide dans le régime établi ; du sommet de la montagne où l’on s’est retiré, on guette le gouvernement qui passe, et il y a, en ce silence de désert endormi, une confuse et pesante menace.

Il faut prendre garde, en effet, dans un pays où l’on parle