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d’imaginer des définitions qui manquent chaque fois quelqu’un des objets à définir, certains critiques se sont élevés à des considérations générales, faisant comme ces prédicateurs de village qui, lorsqu’ils s’embrouillent dans leurs explications, s’avisent de parler latin : « Oui, s’écrie l’un d’eux, le mouvement pré-raphaélite fut quelque chose d’autrement considérable qu’une simple révolution dans l’idéal ou dans les méthodes de la peinture. Ce fut une des vagues de ce grand courant de réaction, de protestation et de rébellion qu’a toujours élevées notre siècle contre toute autorité artificielle, contre toutes les traditions et toutes les conventions dans n’importe quelle branche de la vie. Au point de vue social, il a éclaté avec la Révolution française, il a trouvé son expression dans le mouvement poétique, qui l’a suivie dans Coleridge, Shelley et Keats. Il a passé de l’éthique à la politique, il a touché tout ce qui est la morale et tout ce qui est la science, il a réagi sur la littérature entière de l’Europe, depuis la psychologie jusqu’à la fiction, du drame jusqu’au poème lyrique. Schumann et Chopin l’ont insufflé dans la musique. Darwin, en réformant le monde de la science, a jeté dans la doctrine de l’évolution les bases de la nouvelle cosmogonie… » Arrivé là, on perd pied tout à fait et l’on sent qu’une école d’art qui ressemble à tant de choses étrangères à l’art ne se différencie pas assez nettement de ses rivales pour qu’on puisse, à son signalement, reconnaître un tableau qui lui appartienne. Trop étroite si on la restreint à la recherche du détail, la définition du pré-raphaélisme devient trop large si on l’étend à la conquête d’une philosophie nouvelle. Dans un cas, le pré-raphaélisme n’est pas contenu ; dans l’autre, il est contenu avec trop de choses différentes. Si l’on se tient à la première, il faut avouer que les pré-raphaélites ont tous plus ou moins renié leurs convictions esthétiques, et si l’on se tient à la seconde, qu’ils n’en avaient pas de très spéciales ni de très marquées.

Ils en avaient cependant ; mais pour les comprendre, il faut écarter tout d’abord la théorie pré-raphaélite telle qu’elle a été écrite, imprimée partout, et où l’on a cru très à tort trouver le fond et le but du pré-raphaélisme. Il faut se rappeler, tout au moins, que cette théorie, étroite et réaliste, n’a jamais été qu’une méthode de formation à l’usage de jeunes peintres de vingt ans, imaginée par eux pour se mettre entre les mains l’outil nécessaire, quitte plus tard à être abandonnée, une période d’études, non un plan de réalisation, un manuel d’apprentissage, non une bible d’idéal, un chemin, non un but. Si dans les momens d’exagération naturels à la jeunesse, quelqu’un des écrivains du Germe l’a compris autrement, il l’a mal compris. Mais c’est une