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commissaire-priseur. Celui-ci surprit un jour son employé qui dissimulait quelque chose dans son pupitre, insista pour savoir ce que c’était, découvrit que c’était un dessin et ne se tint pas de joie. « C’est bon, dit-il, au premier jour de liberté, nous nous enfermerons tous deux ici et nous passerons la journée à peindre. » Cela dura un an et demi, après quoi le jeune homme fut placé dans un entrepôt de marchandises, dirigé par un agent de Richard Cobden. Là, il trouva un commis dont la principale occupation était de dessiner des ornemens pour les calicots et autres étoffes de la maison. Le jeune Hunt l’aida naturellement dans cette besogne et rêva plus que jamais d’être artiste. Entre temps, il dépensait ses économies à se faire donner des leçons par un peintre de portraits, élève de Reynolds. Une vieille marchande d’oranges étant venue à son magasin offrir ses denrées, il fit d’elle un portrait si ressemblant que le bruit s’en répandit dans tout le voisinage et arriva aux oreilles du vieil Hunt. Le fils profita de cette circonstance pour déclarer qu’il serait un peintre et rien qu’un peintre. Le père, ayant épuisé, pour l’acquit de sa conscience, toutes les objections, céda devant la malice des événemens, et plus fier au fond qu’il ne voulait le paraître, il s’en consola en s’en glorifiant. Mais la partie était loin d’être gagnée. Pendant longtemps Holman Hunt lutta contre la misère, se livrant pour y échapper à toutes sortes de besognes hétéroclites. Il copiait des tableaux de maîtres pour le compte d’autres copistes, retouchait des portraits qui avaient cessé de plaire à leurs propriétaires, soit qu’ils ne fussent pas assez ressemblans, soit qu’ils le fussent trop, soit que l’habit eût passé de mode. Il échouait par deux fois au concours d’entrée à la Royal Academy ; et, menacé de retourner au négoce ou à la campagne chez son oncle le fermier, il réussissait enfin après mille tracas.

Heureusement sa carrière avait çà et là quelques bons momens. Dans les cours de l’Académie, Hunt avait rencontré un jeune homme, de deux ans plus jeune que lui, presque un enfant, John Everett Millais, qui étonnait ses maîtres par de merveilleuses dispositions. A quinze ans, il avait déjà remporté la grande médaille d’études d’après l’antique et tout lui annonçait la plus brillante destinée. Les deux jeunes gens causaient souvent ensemble de l’avenir, du leur, et aussi de celui de l’Art anglais qu’ils trouvaient bien dégénéré. Ils causaient de ce coloris lourd, fade, poussé au noir, qu’on leur apprenait à l’école, le comparaient aux tonalités claires, vives, chantantes, des grands maîtres d’autrefois, et aussi de la Nature, et se demandaient comment on pourrait substituer les secondes au premier. Hunt avait été très frappé d’un mot que lui avait dit un passant, en le voyant copier, à la