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naturellement est toujours entendue dans le sens de ceux qui se sont emparés de l’instrument, en règlent l’action et en tiennent le manche. Et comme cette doctrine fait de l’impôt — à la condition bien entendu qu’il porte sur la richesse accumulée ou en voie d’accumulation, la source du bien social — il n’y a pas de limite à son extension. Plus il y a d’impôts, d’impôts socialistes s’entend, plus la vie sociale réalise son idéal. Si l’impôt absorbe tout, tant mieux : c’est qu’il est venu à bout des riches, et qu’il ne reste plus dans la nation que l’État qui soit riche. L’État est enfin le seul capitaliste. Ayant absorbé les individus dans un collectivisme universel, il administre lui-même au profit de tous la fortune de la nation, jusqu’ici divisée en fortune privée et fortune publique, mais ne devant constituer, au jour du triomphe de la nouvelle école, qu’une seule fortune, celle de tout le monde. Le budget particulier des citoyens se trouve englobé dans le budget de la nation. L’État tout-puissant ne connaît plus de citoyens : il les a tous transformés en fonctionnaires. Ceci rappelle le mot d’un célèbre homme d’État qui a gouverné son pays au commencement de ce siècle avec une vigueur peu commune. Comme son confesseur, à son lit de mort, lui demandait de pardonner à ses ennemis, l’homme d’État répondait qu’il n’avait pas d’ennemis. — « Comment ! pas d’ennemis ? — Non ! je les ai tous fait fusiller. »

La conception des philanthropes part d’un point de vue différent. L’impôt pour eux est une peine et le dégrèvement une récompense. L’immoralité doit supporter une amende et la moralité doit en être affranchie. L’impôt doit être la sanction de la morale ; il est alors bon en soi. C’est l’expression de la conscience des bravés gens.

Qu’y a-t-il d’étonnant que ces deux doctrines, l’une si farouche à l’individu et le transformant en un organe passif de la machine sociale, et l’autre si tendre aux gens de bien, voulant augmenter leur part de bonheur, et convertissant les méchans en faisant naître chez eux l’espoir de participer à la joie des élus, se rencontrent dans la conclusion que Monthyon a formulée dans les termes qui suivent :

« L’objet supérieur de l’impôt doit être toujours de prendre à qui a un superflu pour donner à qui manque du nécessaire… Ce qu’il faut imposer, ce sont les jouissances de la richesse qui sont en contradiction avec la saine morale, qui sont en opposition avec l’intérêt général, qui offensent les mœurs et même l’humanité. »

Le propre de l’impôt serait, dans cette conception de Monthyon, une peine, et cette peine devrait être prononcée par un tribunal de sages, parlant au nom de la nation. Ne croirait-on pas