Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétien ; il l’a montré par sa vie et par sa mort ; et il croyait que nous encourons ici-bas des responsabilités qui se dénouent ailleurs.

Sa vie a été douloureuse et pénible : il est impossible de l’embrasser dans son ensemble sans éprouver le sentiment qu’inspirent les choses irrémédiablement manquées. Un destin peu clément a pesé sur elle. La mort du Duc d’Orléans, survenue au moment le plus prospère de la monarchie de Juillet, a été comme un coup de tocsin qui annonçait les périls imminens. Le roi était déjà trop vieux, le Comte de Paris était encore trop jeune, et on a prévu, dès ce moment, les difficultés d’une régence, avec tous les hasards qui s’y rattachent. Quelques années après, éclatait le 24 février. Le spectacle qui s’est déroulé ce jour-là sous les yeux du jeune prince, — il avait dix ans, — a dû rester gravé dans sa mémoire comme un souvenir d’épouvante. La monarchie s’effondrait subitement. Mme la Duchesse d’Orléans, avec ce courage héroïque des femmes et des mères qui ne reculent devant rien, prit ses deux fils par la main et les conduisit à la Chambre des députés pour les mettre sous la sauvegarde de l’assemblée. M. le Comte de Paris a vu Lamartine à la tribune demander la république. Puis la Chambre était envahie, l’émeute s’en emparait, et devant sa menace grandissante les députés se retiraient en désordre. Mme la Duchesse d’Orléans, poussée, chassée de banc en banc jusqu’à l’extrémité de la salle, trouva enfin une porte de sortie et de salut ; mais là encore, dans les couloirs encombrés de monde, elle fut emportée avec ses enfans, et comme roulée dans le flot tumultueux de la révolution. M. le Comte de Paris a pu juger alors de ce que pesaient les monarchies dans certains jours d’orage populaire. Le lendemain, c’était l’exil, l’exil qui devait durer plus de vingt ans, et permettre à l’enfant de devenir un homme avant de revoir la France. Son éducation était terminée lorsque éclata en Amérique la guerre de la Sécession. M. le Comte de Paris s’enrôla dans l’armée du Nord ; il fit campagne avec un courage chevaleresque, et il a laissé aux États-Unis des sympathies qui se sont exprimées d’une manière touchante au cours de sa lente agonie et après sa mort. Il voulait s’initier au métier des armes dans l’espoir de combattre un jour pour son pays : cet espoir n’a pas pu se réaliser. Rentré en Europe, il vécut pendant plusieurs années en Angleterre. Son esprit avait atteint alors toute sa maturité ; il est intéressant de constater dans quel sens il se porta de préférence et quelles études l’ont plus particulièrement sollicité. En le faisant, nous n’apprenons rien aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes, dont M. le Comte de Paris n’aura pas été sans doute le moins illustre collaborateur. Il entreprit d’abord de raconter la guerre d’Amérique, avec l’autorité que lui donnait la part qu’il y avait prise, et cet ouvrage, qu’il a terminé plus tard, est sans aucun doute un des documens les plus sérieux et les plus précieux que l’on puisse consulter sur cette période de l’histoire des États-Unis. Des