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Voilà une gloire bien passée ! Non seulement l’Espagne et l’Italie, où Mengs avait exercé une influence si grande, l’ont depuis longtemps tout à fait oublié, mais l’Allemagne elle-même, sa patrie, se refuse à lui faire une place dans l’histoire de son art national. Récemment encore, le directeur du musée de Berlin a fait reléguer au grenier les deux peintures de Mengs que possédait le musée, deux morceaux jadis comparés par la critique aux plus purs chefs-d’œuvre de Raphaël.

Fort heureusement pour la mémoire de Mengs, le directeur du musée de Dresde, M. Wœrmann, s’est montré plus indulgent à son égard que son confrère de Berlin. C’est que, aussi bien, le musée de Dresde est le seul où l’on puisse se faire de l’art de Mengs une idée favorable. Car les grandes peintures de ce grand peintre, ses compositions religieuses ou allégoriques, ses fresques, tout cela est effectivement détestable, sans couleur et sans expression, je dirai presque sans dessin, tant la correction du dessin de Mengs est banale et vulgaire. Ce n’est pas même aux machines des peintres d’histoire de son temps, des Coypel, des Vanloo, qu’on les pourrait comparer, mais à celles des pires imitateurs de Flandrin et de Paul Delaroche. Tandis qu’il y a de lui, au musée de Dresde, une collection de portraits au pastel, des œuvres de jeunesse pour la plupart, qui sont d’excellens morceaux, consciencieux, élégans, et sans doute d’une ressemblance parfaite : ils ont tous les mérites et tous les défauts de belles photographies ; et jamais je n’ai vu de portraits attestant chez un peintre un manque aussi absolu d’imagination ; mais du moins c’est de « bon ouvrage », et que le directeur du musée de Dresde aurait grand tort de reléguer au grenier.

Il n’y songe d’ailleurs aucunement, ainsi que je l’ai dit ; et au contraire il vient de consacrer à Raphaël Mengs, dans les dernières livraisons du Zeitschrift fur bildende Kunst, une suite d’articles très intéressans, d’autant plus intéressans que, reconnaissant une fois pour toutes la médiocrité de l’artiste, c’est de l’homme surtout que s’est occupé M. Wœrmann. Je ne puis songer à refaire ici, après lui, la biographie de Mengs. Mais je voudrais au moins raconter brièvement l’histoire de son éducation et de ses débuts, histoire à la fois comique et touchante, et qui fait comprendre à la fois ce qui manquait à Raphaël Mengs et ce qu’il a eu des qualités d’un grand peintre.

Antoine-Raphaël Mengs est né le 12 mars 1728, à Aussig en Bohême. Son père, Ismaël Mengs, peintre de cour du roi de Saxe, vivait maritalement à Dresde avec sa cuisinière, Charlotte Bormann, et avait eu d’elle, déjà, doux enfans. Mais lorsque le troisième fut sur le point de naître, Ismaël Mengs envoya sa compagne dans un village de Bohême, sans doute pour éviter tout scandale de la part des voisins. A peine né, l’enfant fut ramené à Dresde. Il ne fut point baptisé, car Ismaël était libre penseur et faisait vanité de n’appartenir à aucune religion. Mais