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artisans. Ils ne se faisaient point la même idée que nous nous faisons aujourd’hui de l’originalité, et peu leur importait qu’un tableau fût d’eux-mêmes ou de leurs apprentis, pourvu qu’il fût peint comme ils le voulaient. Ils y travaillaient en commun, chacun se chargeant d’en achever une partie. Les élèves ne se préoccupaient pas alors d’être différens de leurs maîtres, mais de leur ressembler, de façon à pouvoir les seconder proprement. En telle sorte que la différence des factures n’était pas aussi marquée qu’elle l’est aujourd’hui. Et l’originalité des maîtres, d’ailleurs, n’y perdait rien. Quand bien même Raphaël n’aurait point touché au portrait de Jeanne d’Aragon, ni Rubens aux tableaux de la Galerie de Médicis, ni Léonard à la Sainte Anne et à la Vierge aux Rochers (car des critiques se sont trouvés pour établir tout cela), ces tableaux n’en seraient pas moins les immortels témoignages du génie de ces maîtres. Et le plus sage parti est peut-être encore de les admirer en silence.

Je ne m’arrêterai donc pas aux innombrables articles de critique publiés, ces temps derniers, dans les revues d’art d’Allemagne. A peine si je signalerai en passant, dans le Jahrbuch der kœniglich-preussischen Kunstsammlungen, une étude de M. Hofstede de Groot sur une femme peintre hollandaise, Judith Leyster, qui est, très vraisemblablement, l’auteur d’un grand nombre de tableaux attribués à Franz Hals. Compatriote et élève de ce maître, elle imitait en perfection sa manière ; et l’on a d’elle, notamment à la Haye et à Stockholm, des scènes de buveurs qui, si elle ne portaient son monogramme, passeraient incontestablement pour des œuvres de Hals. Mais qu’on se rassure ! ce n’est point elle qui a peint les grandes Corporations du musée de Harlem, ni le portrait de Hals avec sa femme, du musée d’Amsterdam. Et quand bien même elle les aurait peints, le nom de Hals évoquera toujours à l’esprit quelque chose de plus que le nom de Judith Leyster.

Mais, outre ces recherches et ces controverses, les revues d’art allemandes publient, depuis quelques années surtout, d’autres études d’une portée plus générale et d’un intérêt plus haut. La biographie et l’histoire reprennent peu à peu leur place à côté de la critique. Non pas en vérité la biographie des grands maîtres, ni l’histoire des grandes écoles. Mais sans cesse maintenant on s’attache davantage à nous faire connaître, à l’aide de documens nouveaux, la vie et les aventures de ces artistes de second ordre que les anciens historiens de l’art avaient négligé d’étudier. Et les anciens historiens avaient eu raison, car l’œuvre de ces artistes est vraiment peu de chose en comparaison de l’œuvre des maîtres. Mais les historiens nouveaux ont raison aussi, car beaucoup de ces artistes ont été des hommes d’un caractère