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situation religieuse du fait de son rapprochement avec une puissance chrétienne, il n’en fut pas moins et toujours considéré comme un des plus grands personnages de l’empire.

L’influence de la maison de Ouâzzan a été longtemps la plus répandue au Maroc et encore de nos jours son renom s’étend au loin : lors des grandes fêtes religieuses on rencontre à Ouâzzan, et par centaines, les pèlerins et les délégués des régions les plus reculées du nord-ouest africain. Apportant leurs offrandes religieuses au chérif grand maître de l’ordre, ils viennent écouter sa parole sainte pour suivre ses conseils et rendre compte de la gestion des nombreuses propriétés dites biens habbous que possède la confrérie : les revenus sont considérables, mais difficiles à estimer ; l’administration est confiée au chef des moqaddems ou intendans de l’Ordre, qui administre l’emploi des sommes et des offrandes reçues. L’action de la famille est donc demeurée considérable, aussi bien sur l’esprit des populations de l’extrême-nord de la Tingitane que dans le contre et dans l’est du royaume de Fez. Son prestige moral n’est pas moins grand sur les populations algériennes et en particulier sur les tribus de l’ancien royaume de Tlemcen.

Déjà, au lendemain des événemens de 1870, un de nos agens les plus distingués au Maroc, M. Tissot, avait prévu et signalé l’importance qu’il y avait pour notre politique africaine à rattacher à notre cause le chef de la confrérie de Moulaï-Taïeb, et plus tard vers 1883, notre représentant à Tanger, M. Ordega, usant du droit que confère aux puissances européennes l’article 16 de la conférence de Madrid de 1880, avait accordé la protection de la France au grand chérif. On récompensait ainsi les services politiques que ce personnage nous avait rendus en intervenant personnellement en Algérie auprès de tribus dissidentes : on faisait également droit à la demande qu’il nous adressait, car, désireux d’entretenir de bons rapports avec la puissance qui administrait un grand nombre de ses fidèles, il redoutait les naines jalouses que sa sympathie pour nous lui avait déjà suscitées dans l’entourage du sultan. Vers 1883, El-Hadj-Abdesselam était en effet fort mal en cour : le makhzen marocain, obéissant aux suggestions de confréries rivales et peut-être aussi à des intrigues étrangères, le poussait à bout. Dédaignant le souvenir des services politiques rendus à sa dynastie sous le règne de Moula-Ismaïl par le fondateur de la confrérie des Taïbiya, Moulaï-el-Hassan comblait de faveurs un membre jusqu’ici effacé d’une branche cadette des chérifs de Ouâzzan, agitateur dangereux et ambitieux. Contrairement à toutes les traditions, cet intrigant, ennemi personnel du grand chérif, fut même nommé pacha ou gouverneur de la petite ville