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contestèrent qu’à demi la légitimité du pouvoir administratif, elles ne cessèrent, en revanche, de revendiquer le libre exercice de leur antique autorité spirituelle sur leurs fidèles, et bien plus, elles luttèrent par les armes pour faire prévaloir la liberté de leurs doctrines. Jusqu’à nos jours cette situation s’est perpétuée, provoquant la confusion de l’état politique intérieur du Maroc. Aussi bien, les Berbères y forment encore maintenant et le plus souvent de petites confédérations sans lien solide et qui se désagrègent sous l’action de leurs luttes locales, mais qui réapparaissent sans cesse et un peu plus tard sous des formes différentes. C’est ce même esprit d’indépendance qui est le plus rude obstacle à toutes les entreprises dont ils ont été l’objet. La réunion de toutes ces tribus fortes autant par leur nombre que par leur caractère belliqueux est donc vivement redoutée par le makhzen. Déjà au commencement de ce siècle, sous le règne de Moulaï-Soliman, une tentative d’union s’était faite entre les populations berbères du sud-est de l’empire. Les tribus qui habitent les districts reculés et les hautes montagnes où la Moulouïa prend sa source se groupèrent, et une expédition commandée par le sultan vint échouer contre elle. Une armée chérifienne en déroute, le camp impérial pillé et le souverain cherchant son salut dans la fuite, étaient chez ces montagnards autant de souvenirs glorieux qui semblaient les préserver de toute nouvelle tentative de domination.

Depuis de longues années un chérif, très saint personnage, s’était établi dans le Medaghara, région formant suite dans le nord au Tafilelt, et il avait pu se faire de nombreux adeptes dans toute la contrée et exploiter cette situation. De sa zaouïa ou couvent d’El-Gaouz, Si-el-Arbi-el-Derqaoui commandait en réalité par son prestige religieux à toutes les tribus berbères qui s’étendent jusqu’aux environs méridionaux de Fez et de Meknas. Aït-Atta, Aït-Iafelman, Aït-Izdeg, Aït-Ioussi, etc., etc., s’inspiraient du grand chef derqaoui pour la moindre de leurs actions, et c’était là un péril d’une extrême gravité pour le gouvernement du sultan. Déjà, en 1881, ce puissant chérif entretenait, disait-on, des relations avec Tripoli, d’où il recevait des quantités d’armes ; d’un mot, il pouvait mettre en mouvement l’énorme masse des populations de l’Atlas ; on l’avait entendu prêcher la guerre sainte contre les Français et les tribus algériennes ; peu après il avait, il est vrai, contremandé l’attaque, mais le danger avait été imminent ; et en 1882 on assurait que l’assemblée générale des délégués des tribus berbères s’était réunie, et que, composée d’envoyés de toutes les fractions, elle avait atteint le chiffre considérable de 1 000 individus. Or voici que l’effet des mêmes manœuvres se faisait sentir jusque chez les Beni-Meguiled, une des plus puissantes tribus du Maroc,