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lui-même des conditions dans lesquelles il y vivaient. On avait, en effet, répandu à ce sujet les bruits les plus exagérés. Une mission privée ayant à sa tête M. Montefiore était arrivée à la cour peu de temps auparavant ; organisée à Londres, elle poursuivait un but humanitaire et philanthropique ; afin d’examiner et d’améliorer le sort des israélites au Maroc, elle avait obtenu certaines promesses du sultan. Après quelques jours passés à Demnat où la cour chérifienne s’occupa également d’examiner la situation du caïd ou gouverneur de la localité — que l’on disait très riche et par conséquent bon à rançonner — on reprit de nouveau la route du Tadela.

Ce fut à ce moment que vint au camp chérifien Impuissant caïd des Zaïane, Mohammed-ou-Hammou, dont le concours, ainsi qu’on l’a dit, devait être si précieux à la politique chérifienne. Au passage à Rabat eut lieu la réception d’une ambassade espagnole. L’armée s’engagea ensuite sur la route de Meknas en traversant le territoire de la tribu des Zemmours, toujours insoumis. Onguerroya pour obtenir le paiement des impôts. C’est au cours de cette marche, presque au moment de sortir de ce territoire redouté, que fut assassiné traîtreusement — chez les Aït-Ouribel, sur les bords de l’Ouad-Beht — l’officier d’artillerie attaché à la mission militaire française. Ce triste événement produisit une très grande impression sur le sultan et dans tout le makhzen, et il eut de graves conséquences, aussi bien pour l’avenir de cette mission que pour le prestige des Européens de qualité. Une indemnité de 100 000 francs ayant été exigée du sultan, il la solda, mais se trouva dégagé de la nécessité de toute autre répression, car elle représentait le prix du sang ou dia, qui, suivant la coutume, empêchait, puisqu’elle en tenait lieu, tout châtiment des meurtriers.

Peu de temps après son retour à Meknas, le sultan fut de nouveau très malade : on ne le vit point paraître à la mosquée plusieurs vendredis de suite ; aussi le bruit de sa mort fut-il répandu. Une grave épidémie sévissait à cette époque à l’intérieur du harem : des femmes y avaient succombé, on les avait enterrées nuitamment ; et la nouvelle de la fin de Moulaï-el-Hassan était acceptée assez généralement par le peuple, persuadé que la mort du souverain avait été dissimulée suivant l’usage. Ces nouvelles, colportées dans toutes les tribus, les encouragèrent à lever l’étendard de la révolte et les pillards coupèrent les routes. Aux environs mêmes de Meknas, les Guerouane rançonnaient déjà les caravanes ; le prix de la poudre augmentait ; et on prévoyait le moment où la ville serait assiégée, quand le sultan se remit et put reprendre la direction de son gouvernement.