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appel, en toute occasion et par toutes les voies, en opposant les leçons de la sagesse et de l’expérience aux prédications mauvaises qui sont presque toujours des importations de l’étranger. Beaucoup d’ouvriers français se sont laissé séduire au dogmatisme pédantesque des révolutionnaires allemands, qui se sont présentés comme les révélateurs d’une doctrine nouvelle, appuyée sur la science et le raisonnement. Les ouvriers français doivent commencer à être éclairés sur la valeur et la bonne foi de ces théoriciens par l’échec successif de tous ces congrès internationaux où les Allemands devaient apporter la bonne parole du nouvel évangile social. A Bruxelles, en 1892, on n’a pu se mettre d’accord sur aucun point important ; et, pour ne pas laisser éclater des dissentimens qu’il était impossible de concilier, on a dû recourir ù l’emploi de formules vagues qui ne donnèrent satisfaction à personne.

L’an passé, à Zurich, où le socialisme français n’a pas été officiellement représenté, on avait mis à l’ordre du jour la suppression de la guerre au moyen de la grève des soldats et de toutes les grandes industries. Liebnecht et Bebel, qui avaient annoncé qu’ils marcheraient, le fusil à la main, en tête des colonnes chargées de défendre contre nous l’Alsace et la Lorraine, ne pouvaient s’associer à cette proposition des délégués hollandais ; et après quatre séances de discussions violentes, tous ces apôtres de la paix universelle se sont trouvés d’accord pour acclamer la pensée de faire à la Russie une guerre d’extermination. On s’est divisé jusque sur la question qui semblait la plus assurée de recevoir un assentiment unanime, la réduction de la journée de travail à huit heures. Les quelques délégués français, qui étaient présens sans mandat régulier, ne se sont associés à ce vote que sous la réserve très importante que l’application de la journée de travail de huit heures serait précédée de l’adoption préalable d’un tarif de salaires assurant le maintien intégral du prix de la journée à son taux actuel. Ils ont fait observer que le raccourcissement de la journée de travail leur porterait préjudice s’il avait pour conséquence une réduction proportionnelle de leur salaire. La solution de la question devient donc de moins en moins probable ; car si c’était déjà une grave illusion d’espérer que les gouvernemens, même ceux dont l’abstention en ces matières est la règle de conduite, pourraient se mettre d’accord pour imposer un même nombre d’heures, il est bien plus invraisemblable qu’ils s’entendent jamais sur une rémunération uniforme de la journée. Les ouvriers des pays riches n’accepteraient pas une diminution de leurs salaires, et des salaires élevés ruineraient l’industrie des pays pauvres.