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les armes, tout en rendant même hommage à la modération de ses prétentions, on avait pourtant mieux espéré pour le maintien de la paix de la sagesse et du bon esprit du roi George. On voulait y compter encore et se flatter que toute négociation n’était pas rompue. Rien de plus sage assurément et de mieux combiné, si la guerre éclatait, que le plan proposé, mais n’était-il pas prématuré ? On avait bien entendu dire que de hauts personnages de la cour de France tenaient des propos qui paraissaient menacer les Pays-Bas d’une entrée violente faite à l’improviste. Mais le ministre Rouillé, interrogé par Stahremberg, s’était défendu de toute intention pareille. Et supposé même qu’un tel dessein existât chez quelques membres du conseil de Louis XV, n’était-ce pas leur fournir le prétexte qu’ils pouvaient désirer, que de former précipitamment aux portes de France un gros rassemblement de troupes, pouvant servir de motif sérieux ou spécieux d’inquiétude et ayant l’apparence d’une provocation ? D’ailleurs, si la guerre devait être aussi soudaine qu’on le disait, aucun renfort n’arriverait à temps pour la prévenir. Pourquoi ne pas prendre alors le loisir de se préparer soi-même et d’achever les transactions si utiles que l’Angleterre avait en vue : car avec la liesse et surtout avec la Russie, rien n’était fait, tout était même en projet, ou tout au plus, disait-il, in fieri. Puis, par un tour diplomatique (qui n’est pas seulement à l’usage de l’habileté féminine), réservant la dernière place à sa pensée véritable, il fit remarquer que l’Autriche n’avait pas trop de toutes ses troupes pour se défendre contre l’agression certaine que le roi de Prusse, à la faveur du trouble général, ne manquerait pas de diriger contre elle, et j’espère bien, ajouta-t-il, « que le roi d’Angleterre ne considère pas l’impératrice comme son alliée seulement contre la France, mais bien aussi contre le roi de Prusse, qui, bien que n’étant pus aussi fort que son autre ennemi, n’est pas moins dangereux, et qu’il n’ignore pas que cette nouvelle puissance a changé tout le vieux système de l’Europe[1]. »

C’était un refus positif, mais exprimé avec tant de ménagemens, en termes si doux, que Keith s’y laissa complètement prendre, et, quoique mortifié, disait-il, de n’avoir qu’une réponse de ce genre à communiquer, il n’en crut pas moins devoir en toute justice affirmer qu’il ne voyait là ni mauvaise intention, ni obstination

  1. Keith à Holderness, 22 mai 1755 (Correspondance d’Allemagne : Record office) : « M. Kaunitz said that he hoped His Majesty did not consider the Emperor as his ally only against France, but likewisc against the king of Prussia who, though not se powerful as the other, was fully as dangerous. He observed that this new power had quite changed the old System of Europa. »