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qu’une minorité, très inégalement répartie sur le territoire français. Puisque nous nous plaçons dans l’hypothèse d’un soulèvement général en vue de réaliser par la force le programme socialiste qui comporte la nationalisation, c’est-à-dire la confiscation des chemins de fer, des mines et de tous les établissemens industriels, et la dépossession violente de tous les propriétaires du sol, faisons le compte des bataillons qui se trouveraient en présence. Un peu de statistique rassurera les épeurés.

Un document officiel, publié par le ministère du commerce et de l’industrie, et relatif à l’année 1886, nous donne, sur une population de 38 218 903 âmes, le chiffre de 3 056 161 comme le total des ouvriers et journaliers occupés dans l’industrie. Si l’on ajoute à ce chiffre 225 000 ouvriers employés aux transports, chemins de fer, batellerie, etc., et 553 416 garçons de bureau, domestiques mâles et hommes de peine que les maisons de commerce de tout ordre font vivre, on arrive à un peu moins de 4 millions pour le chiffre total des individus mâles qui peuvent être considérés comme vivant d’un travail manuel. Or le nombre des cultivateurs exploitant la terre qui leur appartient est à lui seul de 4 046 164 ; ajoutez-y les chefs et patrons d’industrie qui sont au nombre de 1 004 939, et les 951 077 chefs de commerce, et vous voyez immédiatement de quel côté est la majorité des forces actives et productrices de la nation. Nous ne faisons pas entrer en ligne de compte les fonctionnaires et employés de l’administration, qui sont au nombre de 771 000, ni les 1 091 233 membres des professions libérales, nous n’avons voulu que faire ressortir le chiffre des citoyens qui sont personnellement et directement intéressés au maintien des bases actuelles de la société et à la défense de la propriété immobilière et mobilière. En déduisant des 4 millions de travailleurs manuels les ouvriers en chambre et en voie de devenir patrons, ceux qui travaillent seuls ou à deux ou trois avec un patron, les ouvriers et artisans des petites villes que leur isolement ou leur petit nombre soustraient aux influences malsaines, on ramènerait à 7 ou 800 000 le nombre des ouvriers qui vivent dans les centres populeux, et dont la réunion dans de vastes ateliers a offert aux prédications subversives des facilités particulières. Qu’est-ce qu’un tel chiffre en comparaison de toutes les forces de résistance dont la société dispose ? Et encore avons-nous l’air de croire, ce qui est inadmissible, qu’aucun de ces 800 000 hommes ne serait arrêté par le bon sens, par les sentimens de famille, par le patriotisme. A Dieu ne plaise, pour leur honneur et pour celui du nom français, que nous leur fassions cette injure !