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La masse des immigrans aryens s’établit donc en villages fermés, dominés plus ou moins par une notion de parenté réelle ou putatives, formant en tous cas une corporation où, dans un cadre modifié, survivait le clan. Plus cette organisation était générale, plus elle devait imposer d’autre part aux corps de métiers eux-mêmes une constitution équivalente. Peu nombreux et peu spécialisés dans la vie pastorale, ils étaient voués à un accroissement forcé par le développement économique et les progrès de la culture. Les représentans des professions mécaniques, là où la nécessité les éparpilla parmi les populations qui réclamaient leurs services, ne pouvaient, au sein d’une organisation universellement corporative, s’assurer une existence supportable qu’en s’adaptant au type commun.

C’est ici que les idées religieuses interviennent. Les scrupules de pureté ne permettaient pas aux habitans des villages aryens de se livrer à certaines professions, ni même d’accueillir dans leur communion des compatriotes qui s’y seraient livrés. Parmi ces exclus, les mêmes délicatesses, établissant une échelle d’impureté entre métiers divers, tendaient à multiplier les cloisons. Le sentiment religieux les rendait d’autant plus infranchissables qu’il était plus soigneusement entretenu. La théocratie brâhmanique y pourvut avec une énergie et une persévérance uniques. En admettant que la classe sacerdotale n’ait pas d’abord établi sans protestation les formules absolues de son empire, elle en a sûrement jeté les fondemens de très bonne heure. Dès les périodes les plus hautes de la littérature, ses prétentions s’affirment en termes exaltés.

La hiérarchie des classes ne pouvait créer de toutes pièces le régime des castes ; il dérive d’une division plus spontanée et correspond à un sectionnement beaucoup plus menu. Elle y put aider. Elle avait donné l’exemple et l’habitude d’un fractionnement plus large, il est vrai, mais qui, à certains égards, n’était guère moins rigoureux. Elle eut surtout deux conséquences indirectes. Par la domination qu’elle revendiquait pour les brâhmanes, elle conserva aux scrupules religieux une rigidité qui se répercuta dans la sévérité des règles de caste. Elle servit de base à cette hiérarchie qui est devenue partie intégrante du système ; elle en facilita l’établissement en prêtant une force singulière aux notions de pureté qui en somme graduent l’étiage social. Si la théocratie triomphante fixa le régime de la caste dans sa forme systématique, ce fut aux élémens mêmes d’où sortait cette théocratie que la caste emprunta directement sa raison d’être et son origine.

C’est ainsi que l’échelle des castes, déterminée par les