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population aryenne se répartit en nombre de tribus ou peuplades (janas) subdivisées en clans qu’unissent des liens de parenté (viças) et qui sont à leur tour fractionnés en familles. La terminologie du Rig-Véda est à cet égard passablement indécise ; le fait général est clair. Sajâta, c’est-à-dire « parent » ou « compagnon de jâti », de race, semble dans l’Atharva-Véda désigner les compagnons de clan (viç). Jana, qui affecte une signification plus large, rappelle à la fois l’équivalent avestique du clan, la zanton, et la jâti ou la caste. Une série de termes, vrâ, vrijana, vrâja, vrâta, paraissent être des synonymes ou des subdivisions, soit du clan, soit de la peuplade. La population aryenne vivait donc, à l’époque à laquelle se réfèrent les Hymnes, sous l’empire d’une organisation que dominaient les traditions de la tribu et des groupemens inférieurs ou similaires. La variété même des noms indique que cette organisation était assez flottante ; elle en était d’autant plus souple à se plier aux formes définitives que les circonstances devaient lui imposer dans l’Inde.

On entrevoit sans peine plusieurs des facteurs qui ont contribué, chacun pour sa part, à la pousser dans la voie où elle s’est développée.

De toute nécessité, la vie des envahisseurs demeura, au cours de leur lente conquête, sinon nomade, au moins très instable. Il est des peuplades dont nous suivons le déplacement. Cette mobilité était très défavorable à l’organisation d’une constitution politique, très favorable au maintien des vieilles institutions. Les hasards de la lutte locale ne pouvaient d’ailleurs manquer de réagir sur l’état des peuplades. En bien des cas, elles se disloquèrent. Tout en gardant la tradition des coutumes héréditaires, les tronçons se reconstituèrent sous l’action de nécessités et d’intérêts nouveaux, topographiques ou autres. La rigueur exclusive du lien généalogique en dut subir quelque atteinte. La porte était entr’ouverte à des principes de groupement variables.

L’assiette de la population a rarement en Orient la fixité à laquelle nous a habitués le spectacle de l’Occident. L’absence d’un état fortement constitué est ici, tour à tour, cause et effet. L’Inde a, jusque de nos jours, conservé quelque chose de cette mobilité. De tout temps les villes y ont été l’exception. Il est naturel que, à l’époque ancienne, nous n’en saisissions guère de traces. Même plus tard, les grandes capitales qui s’y sont fondées n’avaient pas de fortes racines ; elles ont vécu souvent d’une existence éphémère. C’est le village, le grâma, qui, depuis les hymnes védiques jusqu’à ce temps-ci, est le cadre à peu près unique de la vie hindoue. Tel qu’il apparaît dans les Hymnes, il est plutôt pastoral qu’agricole. Des synonymes comme vrijana, qu’on ne peut