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certainement, dans le passé aryen, payée à la famille du mort L’insistance que mettent les livres de lois à réserver les çrâddhas aux brâhmanes, trahit la tendance à laquelle ils obéissent. Une place reste toujours éventuellement réservée aux parens. Il est visible, il ressort des restrictions mêmes, que, dans la pratique courante, les çrâddhas étaient l’occasion de vrais repas communs. Les Hindous en distinguent diverses sortes qui ne sont nullement liées aux funérailles. Tel « çrâddha purificatoire » (goshthi çrâddha) semble bien être le reflet ritualiste de ce repas de caste qui célèbre la réintégration d’un membre coupable. En l’incorporant dans la série, on se souvenait qu’une parenté étroite rattachait ce cérémonial à l’antique repas de famille.

C’est de la sainteté du feu domestique qu’il dérive sa signification. Dans l’antiquité romaine, l’exclusion de la communauté religieuse et civile s’exprime par « l’interdiction du feu », mais aussi et en même temps par « l’interdiction de l’eau ». Il semble de même, dans l’Inde, que l’association d’un feu étranger et d’une eau polluée rende particulièrement impur l’aliment offert ou préparé par une main indigne. J’ai conté que des castes supérieures acceptent du grain rôti par certaines castes inférieures, mais à la condition qu’il ne contienne aucun mélange d’eau ; que des Hindous, qui recevraient du lait pur de certains musulmans, le rejetteraient avec indignation s’ils le croyaient additionné d’eau. Dans les rites qui accompagnent l’exclusion de la caste, on remplit d’eau le vase du coupable, et un esclave le renverse en prononçant la formule : « Je prive d’eau un tel. » On voit que ces notions ont, dans la vie aryenne, de lointaines attaches et de curieuses analogies. On s’explique du même coup comment certains textes, qui remontent à la période ancienne de la littérature sacerdotale, mettent au même rang l’admission à la communauté de l’eau et au connubium.

Le sens du repas commun et des interdictions corrélatives est si fortement marqué dans les mœurs qu’il frappe l’observateur contemporain dégagé de tout préjugé archéologique : « La communauté de nourriture, dit M. Ibbetson, est employée comme le signe extérieur, la manifestation solennelle de la communauté de sang. » Les parens se rapprochent autour de la même table. C’est le même principe, appliqué inversement, qui interdit la participation au même repas, et plus généralement tout contact, entre gens qui n’ont point part aux mêmes rites de famille. Cette tradition a laissé des traces, ailleurs encore que dans l’Inde. Le jus osculi, le contact par l’accolade, constate la parenté. Le germe est ancien ici encore. L’impureté même du cadavre s’explique sans doute en partie par cette considération que la mort exclut