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qui nous sont connues, on a remarqué que, en effet, aucune ne porte le même nom gentilice que son mari. Le gotra est proprement brâhmanique, son rôle est certainement ancien ; la règle exogamique plonge, à n’en pas douter, dans le passé le plus reculé des immigrans. Elle est si bien primitive, sous cette forme du gotra, qu’elle est antérieure à la caste ; elle en déborde le cadre ; les mêmes gotras traversent une foule de castes diverses ; le régime de la caste s’y est donc surajouté. Les deux institutions se sont fondues tant bien que mal, elles ne sont pas nécessairement liées. C’est exactement ce qui se passa à Athènes quand l’établissement des « dèmes » assigna à des districts différens des familles qui appartenaient à une gens, à un γένος ; unique.

C’est la loi endogamique qui nous frappe le plus, la loi qui n’autorise d’union qu’entre fiancés de même caste. Elle n’est guère moins répandue que la loi exogamique dans les phases primitives des sociétés humaines. Elle n’a pas seulement, chez les peuples aryens, laissé des traces fort apparentes ; elle s’y lie à tout un ordre de faits et de sentimens qui en révèle l’origine. A Athènes, il fallait, au temps de Démosthène, pour faire partie d’une phratrie, être né d’un mariage légitime dans une des familles qui la composaient. En Grèce, à Rome, en Germanie, les lois ou les mœurs n’accordent la sanction du mariage légal qu’à l’union conclue avec une femme de rang égal, citoyenne libre. Tout le monde a présente à l’esprit la lutte séculaire que les plébéiens durent soutenir à Rome pour conquérir le jus connubii, le droit de se marier avec les patriciennes. On la prend couramment comme un conflit politique entre classes rivales. Elle couvre tout autre chose. Ce n’est pas seulement par orgueil nobiliaire, c’est au nom du droit sacré que les gentes patriciennes, de race pure, restées fidèles à l’intégrité de la religion antique, repoussaient l’alliance des plébéiens impurs, mêlés d’origine, destitués de rites de famille. Les patriciens obéissaient au même scrupule qui, dans un cadre nouveau, inspire aujourd’hui la loi endogamique de la caste. Mais, sous le régime de la caste, il va dans l’Inde s’aggravant, rétrécissant les avenues ; la lutte des classes à Rome, sous un régime politique, abaisse les barrières ; bientôt elle étend le cercle, sans plus de distinction, à la catégorie entière des citoyens. À ce point, et jusque dans des conditions si opposées, l’analogie se poursuit en prolongemens curieux. Le connubium déborde la cité ; il est accordé successivement à plusieurs populations amies. N’est-ce pas, toutes proportions gardées, la contre-partie de ce qui se passe dans l’Inde, quand des sections de caste acceptent ou refusent le mariage avec d’autres sections ? quand ce cercle