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véritablement le problème fondamental ; ils touchent moins l’origine des castes que la règle de leur hiérarchie.

S’autorisant de l’emploi ancien du mot varna et de la signification qui lui est habituellement attribuée dans la langue classique plus moderne, M. Risley voit dans l’opposition native entre la race conquérante et la race conquise, la blanche et la noire, le germe d’une distinction de castes. Les lois endogamiques sont le fondement du régime. En présence d’une population méprisée, les aryens auraient élevé ce rempart pour protéger la pureté d’un sang dont ils tiraient gloire. La caste est, pour M. Nesfield, affaire de profession ; elle est pour M. Risley affaire, de mariage. C’est l’analogie, c’est l’imitation de ce groupement primitif qui, se répandant de proche en proche, avec l’autorité que lui prêtait la sanction des classes dirigeantes, aurait multiplié à l’infini les ramifications, dérivées tour à tour et suivant les cas de causes ou d’occasions diverses : communauté de langue, voisinage ou identité de profession, croyances ou convenances sociales. Il en arrive par un détour à se rallier d’assez près au système orthodoxe des brâhmanes : la prédominance peu à peu conquise par le sacerdoce serait la source principale de toute l’évolution. En dépit d’une simplification outrée, la théorie des castes mêlées reste pour lui un témoignage précieux de ce croisement incessant des populations dont le mélange en proportions variables est la cause capitale qui a multiplié les sectionnemens.

Si, dans sa rigueur, la règle endogamique de la caste appartient proprement à l’Inde, les règles exogamiques, dont nous avons constaté l’action parallèle, sont bien plus générales. A des degrés inégaux et sous des formes mobiles, l’exogamie est une loi universelle. Sous des noms changeans, les groupes exogames se retrouvent au sommet et à la base de la société hindoue : gotras éponymes chez les brâhmanes, clans unis par le totem chez les populations aborigènes, se rencontrent, se fortifient et parfois se fondent les uns dans les autres ; les classes inférieures sont toujours jalouses d’assimiler leur vieille organisation à cette législation brâhmanique dont l’adoption leur devient un titre de noblesse. À ce point, nous retrouvons chez M. Risley comme chez M. Nesfield un sentiment très vif de l’action qu’ont exercée sur la condition définitive des castes les traditions et les coutumes des tribus autochthones. Mais, s’ils s’accordent à tirer nombre de castes du démembrement successif de peuplades autonomes, la part que chacun d’eux fait aux institutions de la tribu, plus exactement de la tribu aborigène, est singulièrement inégale : M. Nesfield y dénonce la source originale de plusieurs des lois qui