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qui exercent sur les consciences un empire si absolu, ne seraient qu’une invention artificielle, tardive, calculée dans une vue de parti ?

C’est par sa base même que pèche l’édifice, par l’importance démesurée que, d’accord en cela avec M. Nesfield, M. Ibbetson prête à la communauté de profession. Si la caste avait réellement là son lien primitif, elle aurait montré moins de tendance à se morceler, à se disloquer ; l’agent qui l’aurait unifiée d’abord en aurait maintenu la cohésion.

L’expérience montre au contraire comment les préjugés de caste retiennent à distance des gens que devrait rapprocher la même occupation exercée dans les mêmes lieux. On a vu quelle variété de professions peut séparer des membres de la même caste, et non pas seulement dans les classes inférieures, mais jusque dans les plus qualifiées. Nulle part l’abandon de la profession dominante n’est par lui-même une cause suffisante d’exclusion. Les occupations sont graduées suivant une échelle de respectabilité ; mais c’est par des notions de pureté religieuse que les degrés en sont fixés. A toute caste tous les métiers sont ouverts qui n’entraînent pas de pollution, ou du moins une aggravation d’impureté. M. Nesfield constate lui-même que l’on rencontre des brâhmanes exerçant tous les métiers, « excepté ceux qui impliquent une souillure cérémonielle et par conséquent la perte de la caste ». Si les castes les plus méprisées se dédoublent en sections nouvelles qui dédaignent la souche primitive, ce n’est pas que ces sections adoptent une profession différente, c’est simplement qu’elles renoncent à tels détails de leurs occupations héréditaires qui, d’après les préjugés régnans, emportent une souillure. Certains groupes de balayeurs sont dans ce cas.

Il est vrai que beaucoup de castes rendent une manière de culte aux instrumens propres à leur métier. Le pêcheur sacrifie une chèvre à son bateau neuf ; le berger enduit d’ocre la queue et les cornes de ses bêtes ; le laboureur répand une offrande mêlée de sucre, de beurre fondu et de riz sur sa charrue, à l’endroit où elle soulève la première motte ; l’artisan consacre ses outils ; le guerrier rend hommage à ses armes, le scribe à sa plume et à son écritoire. Pour curieux qu’ils soient, que prouvent de pareils usages ? Adonnés à des occupations variées, des gens de même caste peuvent rendre cette sorte d’hommage aux symboles les plus divers.

Beaucoup de castes empruntent leur nom à leur occupation dominante ; mais il ne s’agit laque d’une dénomination générique ; l’extension n’en correspond pas du tout forcément à celle de