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sans-façon qu’il avait classé parmi les antiquailles son dogme politique de la légitimité. Tout à coup, cette alliance, « la conviction de toute sa vie, la seule qui pût assurer la paix du monde, l’affermissement des idées libérales, les progrès de la vraie civilisation », devint un péril, tout au moins une superfluité : « Nous avons, depuis quatre ans, écrivait-il à Mme Adélaïde en annonçant sa demande de rappel (12 novembre 1834), eu de l’alliance tout ce qu’elle pouvait nous donner d’utile. Puisse-t-elle ne rien nous transmettre de nuisible ! »


Talleyrand sortait, en 1834, de son second essai de l’alliance anglaise aussi déconfit que du premier en 1815. Dès lors, il recommanda un rapprochement avec les puissances continentales, surtout avec l’Autriche. Il revenait à sa véritable pensée. Pendant le temps même qu’il conseillait le plus à Louis-Philippe de s’accoler à l’Angleterre pour consolider sa dynastie, et qu’il s’amusait à faire enrager Metternich par ses succès à Londres, il conservait au fond de l’âme une sympathie autrichienne pour la première fois désintéressée. Il restait d’accord avec le chancelier autrichien sur les principaux faits politiques du temps. La révolution belge avait été odieuse à Metternich, elle n’avait pas été plus agréable à Talleyrand ; c’est à contre-cœur qu’il l’aida à se constituer en lui accordant le moins possible. Metternich avait appelé l’expédition d’Ancône « un attentat, un crime » ; Talleyrand la qualifiait « de prise flibustière, de fantaisie d’expédition dénuée de sens commun[1] ». Instruit de ces jugemens, Metternich avait félicité son ancien ami d’être revenu aux saines traditions.

Talleyrand ne put travailler lui-même aux nouvelles alliances. S’étant retiré spontanément dans les loisirs de la vie privée, il ne s’occupa plus que de soigner sa renommée. Ceux qui avaient tant entendu célébrer sa grâce et son charme avaient peine à en découvrir quelque trace sur Son visage sérieux et fané aux joues pendantes et boursouflées ; par compensation, ils n’y entendaient plus le pétillement de ses vices. Magnifique, grâce à l’opulence acquise « en vendant ceux qui l’avaient acheté, » doué d’un goût littéraire délicat, il attira les jeunes gens en train de devenir célèbres, tels que Thiers, Lamartine, Mignet. Il n’eut pas de peine à leur cacher les laideurs déjà lointaines de sa carrière publique, à les éblouir par son esprit, par les enseignemens de son expérience, par ses manières polies et nobles dont ils ne voyaient plus de modèles dans notre société bourgeoise. Il les séduisit comme il

  1. Mémoires, t. IV, p. 430, 433.