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coup à parler la langue d’un ministre de Louis XIV, d’un émigré intransigeant. « Il n’y a plus en politique qu’un principe, celui de la légitimité. C’était le seul remède à tous les maux dont l’Europe avait été accablée et le seul qui fût propre à en prévenir le retour, la sauvegarde sacrée des nations ; de lui seul découlaient l’ordre et la stabilité. C’était le principe sur lequel il ne fallait pas transiger[1]. »

Ce désaveu nouveau de soi-même a été, nous a-t-on dit depuis, une inspiration du patriotisme. Par cette évocation du droit héréditaire, seule assiette solide des États aux yeux de nos vainqueurs, Talleyrand se les serait rendus favorables et aurait sauvé l’existence et l’unité de la patrie.

En 1814, l’unité et l’existence de notre patrie n’ont pas été en péril. Ce péril eût-il existé, il n’aurait pas été conjuré par l’habile évocation du droit héréditaire, auquel nos vainqueurs ne croyaient pas. A la seconde Restauration pas plus qu’à la première, dit Chateaubriand dans le Congrès de Vérone, les alliés ne prétendaient rétablir la légitimité[2], et dans ses Mémoires, presque toujours confirmés par les documens en ce qui concerne Talleyrand, il l’a répété : « Pozzo, qui savait combien peu il s’agissait de la légitimité en haut lieu. »

Les Mémoires de Talleyrand ont achevé la démonstration. Voici, en effet, les deux lettres qu’on y trouve : A Louis XVIII, le 15 février 1815 : « Votre Majesté n’apprendra peut-être pas sans quelque surprise que l’attachement au principe de la légitimité n’entre que pour très peu dans les dispositions de lord Castlereagh et même du duc de Wellington, à l’égard de Murat. C’est un principe qui ne les touche que faiblement et que même ils ne paraissent pas très bien comprendre. C’est l’homme qu’ils détestent dans Murat, beaucoup plus que l’usurpateur. Les principes suivis par les Anglais dans l’Inde les éloignent de toute idée exacte sur la légitimité. » Encore à Louis XVIII, le 23 avril 1815 : « L’empereur Alexandre, qui comprend peu le principe de la légitimité, sans attendre de connaître l’opinion du cabinet anglais, a fait insérer dans la Gazette de Francfort un article qui porte que les puissances ne veulent que renverser Bonaparte, mais qu’elles ne prétendent nullement se mêler du régime intérieur de la France, ni lui imposer un gouvernement, et qu’elle sera libre de se donner à celui qu’elle voudra. »

Il y avait quelque chose que les souverains comprenaient encore moins que le principe, c’est la valeur politique de la maison

  1. Mémoires, II, 159, 281, 285.
  2. Tome Ier, p. 196.