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continuel d’inquiétude. Le moment est venu de déclarer que la dernière branche de la maison de Bourbon a cessé de régner[1]. »

Une fois cependant, en 1805, il paraît avoir une idée personnelle. Il conseille une alliance avec l’Autriche, dont la conséquence devait être une irréconciliable et permanente hostilité entre la France et la Russie. Dépouillée de ses possessions en Italie et en Souabe, augmentée de la Moldavie, la Valachie, la Bessarabie, et d’une partie de la Bulgarie, l’Autriche serait postée ainsi sur le Danube en sentinelle d’avant-garde contre la Russie. Les Russes, comprimés dans leurs déserts, porteraient leurs inquiétudes et leurs efforts vers le midi de l’Asie, où le cours des événemens les mettrait aux prises avec les Anglais aujourd’hui leurs alliés[2].

Cette politique, dénuée de prévision et de possibilité même alors, dénoterait un fort médiocre jugement si elle ne marquait plus encore de corruption. « L’attribuer à une préoccupation sur l’équilibre européen, a dit le chancelier Pasquier, serait une naïveté un peu trop forte. » Il voulait que l’Autriche fût maintenue à tout prix, « parce que ses meilleures affaires s’étaient toujours faites avec elle ; que les traités les plus fructueux pour lui ont toujours été ceux qui se sont négociés avec cette puissance ; qu’il leur devait la plus grande partie de sa fortune, aucun cabinet ne sachant mieux que celui de Vienne faire à propos les sacrifices nécessaires[3]. »

La vénalité, qui avait inspiré ses conseils d’alliance, se marqua par de telles extorsions à l’égard des rois de Wurtemberg et de Bavière que, sur la plainte réitérée de ces princes, coïncidant avec la divulgation d’un secret important confié à lui seul, son renvoi fut résolu[4]. Il a voulu accréditer la fable que cette disgrâce était due à sa prétendue opposition à la guerre d’Espagne, qui alors donnait des mécomptes. Il n’y réussit pas ; trop de personnes savaient que sa chute tenait à d’autres causes[5].

Mais le cœur de Napoléon, comme celui de Henri IV, ne pouvait se porter à faire du mal à un homme qui l’avait si longtemps servi et lui avait été si familier. En lui retirant le ministère, il lui conféra la charge de vice-grand-électeur et ne lui ferma pas la porte de son cabinet. Il l’emmena même à Erfurt. Il comptait sur son habileté de diplomate pour « faire succéder la

  1. Montholon, Récits de la captivité. — Thiers, t. VIII, p. 251. — Mémoires de Pasquier, t. II, p. 329, 351, 352.
  2. Talleyrand à Napoléon, 17 octobre 1805.
  3. Pasquier, Mémoires, t. I, p. 339.
  4. Napoléon à O’Meara.
  5. Souvenirs de Victor de Broglie, t. II, p. 303. — Montholon, Récits de la captivité.