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il s’est fait un plaisir de la contenter. Il en est des paysans comme des chats, lesquels devinent à première vue qui les aime ou ne les aime pas ; ils s’étaient bientôt avisés que miss Betham les aime beaucoup. « De toutes les classes et des deux sexes, j’ai toujours reçu un accueil bienveillant et même affectueux. Envers le paysan surtout j’ai contracté une dette de gratitude ; son hospitalité, ses renseignemens, son temps ont toujours été mis libéralement à mon service ; le plus pauvre aussi bien que le plus riche ont rivalisé de courtoisie à l’égard de l’étrangère. »

Dis-moi ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas, et je te dirai qui tu es. Il est facile de dire à miss Betham ce qu’elle est, car elle a des haines et des affections intenses, et elle les exprime avec une vivacité toute britannique. Après avoir lu les premières pages de son livre, on sait déjà qu’elle adore les fleurs et qu’elle nous sait gré de les aimer beaucoup. Mais peut-être aime-t-elle encore plus les animaux, et elle a peine à nous pardonner notre dureté pour eux. Les chiens de garde perpétuellement tenus à l’attache, les chevaux et les bœufs à qui le fouet ou l’aiguillon ont fait des plaies, la volaille qu’on envoie au marché dans des cages à claire-voie et qu’on laisse exposée durant des heures à un soleil ardent, lui arrachent des cris de pitié et d’indignation. Si les Normands lui déplaisent, c’est qu’ils maltraitent les êtres à qui le ciel a refusé la parole et rainer plaisir de dire son fait à leur bourreau.

Quelque sympathie qu’elle ait pour le pays ouest né le grand homme qui a fait de l’Angleterre une nation, quelque admiration que lui inspirent les laiteries du Cotentin et ses herbages sillonnés d’eaux courantes, elle y a vu des choses qui l’ont navrée : « Ces hommes, dit-elle, sont une belle race, de visage agréable, solidement bâtie, digne de figurer parmi les barons du Conquérant. S’ils étaient plus tendres pour les animaux, ils auraient gagné notre cœur. Dans le pays de Caux, le chien est regardé simplement comme une machine à aboyer ; dans le Cotentin, les animaux élevés pour le boucher sont traités avec aussi peu d’égards que s’ils étaient des choux ou des pommes de terre. Je suis triste d’avoir à dire des choses si dures aux dignes fermiers normands, mais je ne dis rien de trop. »

Elle a moins de reproches à adresser aux Angevins, race douce et gracieuse, gentle and amiable : elle leur en veut pourtant de plumer deux fois par an les oies vivantes. Elle donne un bon point aux Dauphinois et aux Savoyards, parce qu’ils ont l’air d’aimer leur bétail. En revanche, elle a rencontré dans les Alpes-Maritimes des chevaux dont les écorchures saignaient et criaient vengeance, et elle s’est dit qu’en Angleterre le brutal qui les conduisait aurait été passible de huit jours d’emprisonnement. Elle s’écrie à chaque instant : « Que devient la loi Grammont ? » Quiconque ménage et caresse les chiens et les chevaux est sûr de se mettre bien avec elle. Les cochers qui laissent dormir leur