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des séances a subi une transformation notable. Les dénominations classiques de droite et de gauche n’ont dans la Chambre actuelle qu’une justesse très relative. La presse et le public continueront longtemps à s’en servir, alors que ces repérages n’auront plus qu’une valeur de souvenir. Les élections de 1893 ayant fortement réduit l’effectif de l’ancienne droite, la gauche a débordé sur les bancs laissés libres de ce côté. Si ce transport s’était opéré régulièrement, en respectant la gamme des nuances, s’il n’y avait eu qu’une émigration du centre refoulé par des collègues d’opinions plus avancées, les expressions consacrées eussent peut-être gardé leur exactitude : cette saturation des banquettes dont je viens de parler, et quelques autres causes, auraient sans doute communiqué aux nouveaux occupans les sentimens inhérens aux travées de droite. Les choses ne se passèrent pas ainsi. Après les ballottages du 3 septembre, les socialistes et les radicaux qui triomphaient au second tour ne trouvèrent plus de place sur les gradins de l’extrême gauche ; ils envahirent les seuls bancs restés disponibles, à l’extrême droite. Là siègent aujourd’hui pêle-mêle les champions du droit divin et ceux de la commune de Paris.

Il en résulte deux inconvéniens. La mimique accoutumée de la tribune retarde et manque ses effets lorsqu’elle ne tient pas compte de ce changement. Les orateurs radicaux, quand ils foudroient la réaction, continuent le geste d’habitude en se tournant vers la droite, et leurs objurgations tombent sur les têtes innocentes de leurs amis. D’autre part, les défenseurs de la société sont pris à la tribune entre deux feux. Jadis, l’orateur qui s’inclinait vers la gauche pour lancer un trait de ce côté sentait ses derrières assurés, couverts par les applaudissemens, tout au moins par un silence approbateur ; et réciproquement, quand il distribuait le blâme à la droite. Aujourd’hui, celui qui attaque le parti socialiste est fusillé sur l’un et l’autre flanc par des interruptions identiques ; il est contraint de loucher pour riposter à des adversaires dispersés aux deux ailes. Les attitudes traditionnelles de l’escrime parlementaire sont bouleversées : il en faut apprendre de nouvelles, et fort malaisées.

Sauf les jours de grandes représentations, où les représentans au complet attendent avec une curiosité passionnée la parole d’un ténor, l’explosion d’un scandale, la chute d’un cabinet, il n’y a habituellement dans la salle qu’une moitié des hôtes du Palais-Bourbon, souvent beaucoup moins. Clairsemées sur les gradins, ces victimes du devoir écoutent, en causant de leurs petites affaires, la discussion d’une question technique qui se débat entre quelques initiés. Il est d’usage dans le public de s’indigner contre cette grève d’auditeurs : on ne peut cependant exiger de 580