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Pour donner le signal du ralliement au bimétallisme international, compterait-on sur l’Allemagne, qui vient de démonétiser l’argent ? Ou bien les difficultés graves éprouvées par l’Union latine, que plusieurs économistes parlent de dénoncer, seraient-elles destinées à vaincre les hésitations des gouvernemens peu soucieux d’aliéner leur indépendance financière ?

Supposons, par impossible, que cette entente chimérique s’établisse concernant le rapport légal des deux monnaies, l’argent se relèverait-il en vertu du consentement universel ? La frappe libre, forcément admise aussi dans le monde entier, l’inonderait de monnaies blanches, qui tomberaient bientôt au rang « d’assignats métalliques ». Passerait-on également une convention générale, interdisant au public d’y voir clair sur la valeur relative des deux métaux monnayés ? Chacun voudrait naturellement se ménager une réserve du plus précieux, qui disparaîtrait rapidement de la circulation, comme cela se produit pour les monnaies quelconques dans les pays de cours forcé, où le papier fait fonction de numéraire. Empêcherait-on les particuliers, sous peine capitale, de stipuler leurs paiemens, soit en argent, soit en or, d’après des proportions variables, ce qui se pratique couramment dans diverses contrées bimétallistes, malgré la parité légale des deux métaux monnayés ? Et si l’une des nations contractantes prétendait reprendre son indépendance, faudrait-il la contraindre manu militari à rentrer dans le devoir monétaire ?

On a parfois assimilé l’argent à une monnaie fiduciaire, comparable au billet de banque : l’un et l’autre sont une promesse de paiement en or ; pourvu que cette promesse soit loyalement tenue, peu importe le reste. Encore l’argent, même déprécié de moitié, conserve-t-il une certaine valeur intrinsèque ; le billet n’en a aucune, et ne vaut que par le crédit de son signataire. L’échange au pair contre l’or est donc plus naturel et légitime pour l’argent que pour le papier.

Cette façon d’entendre le rôle de l’argent prêterait à des controverses qui nous entraîneraient beaucoup trop loin. Répondons à l’objection telle qu’elle est posée. Le billet de banque est une promesse de paiement en or, émise et signée par celui qui paiera, tandis que la monnaie d’argent, à frappe libre, est une promesse de paiement en or, émise par celui qui sera payé, et à son profit. La différence me paraît sensible.

L’émetteur de billets proportionnera naturellement ses émissions à ses facultés de remboursement en numéraire. Son intérêt manifeste le lui commande, sous peine de voir sa signature avilie, son crédit ruiné, son papier réduit à zéro. Tout au contraire,