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décisives. L’élève a bien pu emprunter les procédés de son maître, le fondu, la légèreté de son exécution ; livré à lui-même, il laisse découvrir la mollesse et l’incertitude de son dessein. Ses paysages peu riant manifestent un sens plus personnel, notamment cette Vue de Saragosse (musée du Prado) dont les nombreux personnages que Velazquez a peints sur le premier plan ne suffisent pas à égayer la morne tristesse et l’aspect désolé.

A côté de Mazo, à peine pourrait-on citer l’esclave Juan de Pareja dont Palomino nous a conté la touchante histoire. Attaché à la personne de Velazquez, il s’était peu à peu pris de goût pour la peinture ; mais, afin de ne pas éveiller les susceptibilités de son maître, il avait pendant de longues années dérobé ses essais à tous les regards, jusqu’à ce que l’un de ses tableaux ayant été vu et apprécié par Philippe IV, son affranchissement lui fut accordé sur la demande du roi lui-même. Il n’en était pas moins resté au service de Velazquez et, même après la mort de celui-ci, il passait à celui de la femme de Mazo, ne pouvant se décider à quitter une famille à laquelle il avait voué une si constante affection. Sa grande toile du musée du Prado, la Vocation de saint Mathieu, son meilleur ouvrage, ne manifeste cependant en rien les influences qu’il avait dû subir. C’est une peinture froide et habile, mais sans grand caractère et qui semble plutôt inspirée par les Italiens de la décadence. En dehors de ces deux noms, d’autres disciples de Velazquez, tels que Juan de Alfaro y Gamez, Nicolas de Villacis, Thomas de Aguiar, ne sont, à vrai dire, que des amateurs, des jeunes gens de famille qui ont dû à la noblesse de leur naissance la faveur de l’approcher en vivant eux-mêmes à la cour. Quant aux peintres de cette époque, comme Mateo Cerezo, Escalante, Juan de Careño et Claudio Coello, ils s’effacent absolument devant leur grand rival. Seuls Murillo et Zurbaran, bien que lui étant fort inférieurs, ont conservé en face de lui quelque originalité. En bon camarade, étranger comme il le fut à tout sentiment de jalousie, le maréchal du palais de Philippe IV ne profita de son ascendant sur le roi que pour chercher à leur être utile, en les attirant à la cour, et, s’il ne pouvait les y retenir, pour leur procurer du moins des commandes et des encouragemens.

Entre toutes, la manière de Velazquez est personnelle. On a beaucoup parlé à ce propos de ses procédés, « de ces mystérieuses conjurations » dont, suivant Burger, il aurait gardé le secret. Sauf celui de son génie, nous ne croyons pas, au contraire, qu’il y ait aucun secret chez ce maître que recommandent surtout le naturel, la simplicité, l’absence totale de conventions. Sa façon