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probablement partie des attributions du maréchal du palais ; peut-être même avait-il été témoin de la scène qu’il a reproduite dans le tableau des Fileuses. La disposition ingénieuse qu’il adopta lui permit de réunir à la fois sur la toile la plupart des opérations nécessitées par la préparation de la laine ainsi que l’œuvre finale à laquelle elles aboutissent. En même temps qu’il plaçait au premier plan, dans une ombre transparente, les ouvrières occupées à Hier, à dévider la laine et à trier ses diverses nuances, il mettait au centre, en plein soleil, un peu exhaussées au-dessus du sol, des dames élégantes qui admirent l’ouvrage exposé sous leurs yeux, une tapisserie d’un goût exquis représentant un sujet mythologique[1]. Tel est, en gros, l’arrangement de cette grande toile que de nombreuses reproductions ont assez fait connaître, mais dont elles ne sauraient donner qu’une idée fort imparfaite. Sans doute on y peut voir avec quel art les groupes sont disposés et reliés entre eux, admirer les contrastes discrets qu’ils offrent les uns avec les autres, le rythme de ces lignes si habilement combinées pour mettre en évidence ce qui est caractéristique, ces accens de lumière et d’ombre si fortement opposées vers le centre, et les grands espaces tranquilles ménagés autour d’eux, enfin cette ordonnance à la fois très savante et très libre d’un tableau où tout concourt à l’impression. Mais ce qu’aucune photographie, ce qu’aucune copie jusqu’à présent n’ont pu rendre, c’est le charme suprême de l’œuvre, de son exécution, de son harmonie, de l’effet qu’elle produit sur vous. Sans se lasser, l’œil peut s’y reposer, ne trouvant qu’à y admirer, aussi bien la forte unité de l’ensemble que la convenance et l’accord intime de tous les détails. Voyez plutôt cette belle fille placée à gauche et vers laquelle votre attention est si naturellement attirée par la convergence des lignes principales et par la direction de la lumière elle-même, pour en faire le point le plus expressif et en quelque sorte le nœud vital du tableau. N’est-ce point là comme une poétique incarnation de la beauté méridionale ? Les bras et les pieds nus, elle s’est mise à l’aise pour travailler et son opulente chevelure au chignon coquettement retroussé découvre son oreille rose et mignonne et son cou blanc. Sa chemise à demi flottante sur ses épaules est serrée à la taille par une ceinture d’un blanc

  1. Un des plus fins connaisseurs de l’Espagne, M. le comte de Valencia, me dit avoir vainement cherché la trace de cette tapisserie dans les magasins ou les palais de la Couronne ; et le directeur actuel de la fabrique royale des tapisseries de Madrid, que j’interrogeais également à cet égard, m’assurait qu’il n’avait trouvé dans les inventaires aucune indication relative à cet ouvrage qui, à son avis, n’aurait pas été exécuté à la fabrique de Sainte-Isabelle, mais lui aurait été simplement confié pour des réparations.