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des dames une nombreuse bande de souris, cette invention l’avait fort divertie. Son visage était d’ailleurs parfaitement insignifiant, et les costumes dont elle était affublée par la camarera major chargée de la façonner à la mode espagnole rendaient plus étrange encore l’aspect de cette figure pâlotte de poupée, au nez petit, un peu gros du bout, à la bouche minuscule, aux lèvres épaisses avec la moue caractéristique de la famille. Elle n’avait d’autre charme que la blancheur lactée de son teint et la finesse de ses blonds cheveux, étalés d’ailleurs de la manière la plus ridicule, suivant la coiffure compliquée qui était alors en usage.

C’est là le type disgracieux que Velazquez eut à peindre dans de nombreux portraits destinés le plus souvent à servir de pendans à ceux du roi, et dont il s’ingéniait à varier autant que possible la disposition et l’harmonie. Tantôt les deux époux sont en prières (Musée du Prado, n° 1081 et 1082), agenouillés devant leurs prie-Dieu garnis d’un brocart à ramages un peu trop apparens, et qui par son bariolage attire un peu plus qu’il ne convient l’attention : la reine, vue presque de face, tenant son livre de messe, avec sa mine ennuyée, et le laborieux édifice de sa coiffure étalée en largeur ; le roi toujours compassé et impassible. Plus loin, deux autres pendans (n° 1077 et 1079) : Philippe IV, debout, en général d’armée, avec une cuirasse et des jambières d’acier bruni à clous dorés, une collerette blanche et une ceinture rouge et or ; à ses pieds, un lion au repos, à peine esquissé. Il a encore grand air, avec son regard terne et froid, son teint vermeil, ses lèvres rouges. Doña Mariana, en robe brune festonnée de passementerie grise, emprisonnée dans une jupe raide en forme de cloche, tient en main son mouchoir ; guindée dans son attitude, serrée dans sa gaine, les joues barbouillées de fard, la chevelure en éventail surchargée de coques rouges et d’une plume rouge et blanche, elle a conservé sa figure d’enfant grognon et dédaigneux. Mais voici du roi un portrait en buste (n° 1080) plus soigné, plus significatif, le dernier qu’ait peint Velazquez et dont il existe de nombreuses copies ou répétitions. Les traits sont un peu tirés, le nez s’est aminci, la moue des lèvres s’est accusée. Cependant les carnations ont gardé leur fraîcheur, et les cheveux sont restés blonds. Avec un air de lassitude, la physionomie est toujours impénétrable. Le parti est d’une simplicité extrême : la tête claire, en pleine lumière, un col blanc, le vêtement noir, le fond uni d’un gris brun. Mais le peintre cette fois a tenu plus longtemps sous son regard son royal modèle ; il a pu s’appliquer, pousser plus à fond son étude et, en la menant, sans trace de fatigue,