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voyait le présage d’une adoption définitive par le Congrès et, ce jour-là même, allait réclamer dans quelque assemblée publique le droit de vote sans restrictions pour les femmes de son pays, en s’appuyant sur l’excellente raison qu’elles y sont préparées depuis longtemps.

Mrs Howe apporte dans les revendications de ce genre la même sérénité que lorsqu’elle expose à l’église ses théories sur le christianisme pratique et individuel. Quel que soit le thème qu’elle aborde, c’est toujours avec mesure, sans emportement d’aucune sorte, quoiqu’une flamme brille au fond de ses yeux bleus restés si jeunes. Depuis que Lucy Stone est morte, son importance de leader semble grandir encore. On sait que Lucy Stone était présidente du comité exécutif de « l’Association pour le suffrage de la femme américaine, » association fondée par elle en 1869, avec l’aide de W. Garrison, de G.-W. Curtis, du colonel Higginson, de Mrs Livermore et de Mrs Ward Howe elle-même. La curieuse histoire de ce pionnier féminin mériterait d’être écrite. Tout enfant, elle avait résolu d’aller à l’Université apprendre le grec et l’hébreu afin d’étudier la Bible dans l’original et de découvrir si les mots qui la révoltaient : « Ton désir sera pour ton mari, et il régnera sur toi », étaient vraiment dans le texte. Elle subvint à son entretien en travaillant de ses mains, faisant elle-même sa cuisine et payant son pauvre logement cinquante sous par semaine. Au sortir de l’université d’Oberlin, elle se voua à l’instruction des esclaves échappés de chez leurs maîtres et commença dès 1847 ses fameuses conférences sur les droits de la femme, collant elle-même ses affiches, bravant la raillerie, les dangers de toute sorte, remuant les foules par son éloquence et le singulier magnétisme qui semblait se dégager d’elle. Mariée à Henry Blackwell, partisan lui aussi des droits de la femme et de l’abolition de l’esclavage, elle ne porta jamais le nom de son mari. Blackwell l’approuvait : il joignit une protestation à la sienne contre l’iniquité de la loi qui accorde au mari autorité entière sur la personne, les biens et les enfans de la femme. Ce fut, du reste, pendant quarante ans le modèle des bons ménages.

Le buste de Lucy Stone par Anne Whitney, à l’exposition de Chicago, donnait l’idée d’une parfaite et sympathique bonhomie. Lorsqu’elle mourut à Boston, au mois d’octobre dernier, ses obsèques célébrées à l’église unitaire des Disciples ressemblèrent à un triomphe : elles attirèrent plus de 1100 personnes et furent accompagnées de manifestations imposantes. Les couleurs du suffrage, — le jaune et le blanc, — étaient représentées par des monceaux de roses et de chrysanthèmes. Une autre femme