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classe de conversation dont Boston se ressent encore. Son but était de passer en revue tous les départemens du savoir, en s’efforçant de marquer les relations qui existent entre eux, de systématiser la pensée, de répandre ces qualités de précision et de clarté trop rares chez notre sexe.


III. — MRS WARD HOWE. — LE CLUB DES FEMMES DE LA NOUVELLE-ANGLETERRE

Commençons par placer, a son rang de doyenne et dans son cadre, Mrs Julia Ward Howe. Je connaissais d’elle bon nombre de travaux sur des questions sociales et autres ; je savais que depuis quarante ans le nom de Mrs Howe avait été mêlé à tous les mouvemens de la cause des femmes en Amérique, mais je ne me doutais pas cependant de l’importance de son rôle avant un incident très simple que je rapporterai ici.

Une course matinale en traîneau m’avait conduite dans une belle maison de campagne près de Milton. Je causais, après déjeuner, avec des Américains de la meilleure société, fort au courant de toutes les choses européennes, bien qu’ils ne passent pas, comme tant d’autres, la plus grande partie de leur vie à l’étranger, sentant trop pour cela que chez eux beaucoup de choses essentielles sont encore à faire et que leur devoir est d’y prêter la main. Un très aimable vieillard nous contait ses souvenirs de jeunesse à Paris et l’impression, encore vive à l’heure présente, qu’avait produite sur lui Rachel chantant ou plutôt déclamant la Marseillaise. Tout à coup s’éleva dans un coin du salon une musique en sourdine, sorte de marche militaire jouée par une jeune femme qui s’était mise au piano. Je demandai ce qu’était cet air, et on me nomma le Battle Hymn, l’hymne de bataille des soldats du Nord, pendant la guerre civile. D’abord, me dit-on, il avait été accompagné de paroles sauvages et sanguinaires, de cris de vengeance inspirés par la mort de John Brown, le vieux colon abolitionniste qui entreprit de soulever les noirs avant la déclaration de la guerre, s’empara d’une ville avec l’aide de vingt-deux hommes, défendit l’arsenal tant que sa petite troupe fut debout et, couvert de blessures, fut condamné finalement à être pendu, donnant par son supplice un suprême élan à la question qui s’imposait. « Old John Brown » était dans toutes les bouches : ce fut Mrs Ward Howe qui, changeant les paroles, en fit l’hymne de bataille. Et, comme je demandais qu’on le chantât tout haut, deux voix l’entonnèrent, accompagnées bientôt d’autres voix, tous ceux qui étaient présens, jeunes et vieux, se joignant au chœur